Partis de Lorient peu après 21h30 mardi 24 novembre, c’est un convoyage express qui a conduit les hommes du Maxi Edmond de Rothschild vers Ouessant et la ligne de départ de leur première tentative sur le Trophée Jules Verne. Quatre heures plus tard, le dernier-né des Gitana était en attente d’un passage de front pour s’élancer sur les 21760 milles nautiques théoriques de la grande boucle planétaire. A 3h26, le duo Cammas-Caudrelier et leurs quatre équipiers déclenchaient enfin le chrono en laissant à vive allure, la pointe bretonne dans leur sillage. Avec un temps à battre de 40 jours 23 heures et 30 minutes, record détenu par Francis Joyon et Idec Sport, les marins du Gitana Team devront être de retour au large de Brest avant le 5 janvier 2021 à 2h55, pour espérer devenir le 10e équipage de l’histoire à accrocher le prestigieux record du tour du monde à la voile.
Ils étaient pressés d’y aller. Aucun des six hommes du bord n’a caché sa satisfaction d’enfin larguer les amarres et de mettre les voiles pour rejoindre la zone de départ du Trophée Jules Verne. Ce mardi soir, dans les quartiers du Gitana Team à Lorient, le rythme s’est brutalement accéléré vers 19h30 pour Franck Cammas, Charles Caudrelier, Morgan Lagravière, Erwan Israël, Yann Riou, et David Boileau. Les six marins, sur le qui-vive depuis plus de deux semaines, ne se sont pas laissé tromper. Tous savaient que cette fois, l’heure d’un départ pour affoler les compteurs autour du monde sur une course contre la montre au meilleur niveau de performance océanique, avait bel et bien sonné. Les bottes et les cirés déjà enfilés, les lampes frontales déjà vissées sur la tête ou à portée de main, ils ont tous les six écouté les dernières et précieuses indications météorologiques du routeur Marcel van Triest. Depuis son QG, celui-ci leur confirmait qu’ils pouvaient tenter de provoquer leur chance sur la route des trois caps, à condition de ne pas trop traîner et de vite prendre au vol une fenêtre météo, qui sans être exceptionnelle, n’en permet pas moins d’espérer entamer leur giration planétaire de la plus belle manière en ralliant l’équateur en 4 jours et dix heures.
Après avoir quitté fissa, à 21h37 le ponton de Lorient, sous les encouragements de l’équipe et de leurs proches dans une ambiance joyeuse où l’énergie du collectif l’emportait déjà à bord du Maxi Edmond de Rothschild, les deux skippers et leurs hommes n’ont pas tardé à rejoindre la zone de départ au large de l’île d’Ouessant. Après quelques dernières manœuvres, ils se sont finalement élancés à 3h26 très précisément dans 18 nœuds de Nord-Ouest sur une mer avec des vagues de trois mètres. Sous J3 et grand-voile haute, ils coupaient la ligne, ou plutôt décollaient dans une chasse au record… à 40 nœuds ! Une trentaine de minutes derrière Sodebo Ultim 3.
PAROLES D’AVANT-DÉPART
Charles Caudrelier, skipper : « Ce n’est pas si mal ce départ, parce que finalement nous n’avons pas le temps de faire monter la pression. On s’attendait à partir à n’importe quel moment. C’est le Trophée Jules Verne et plus que le départ, c’est surtout une belle arrivée qu’on vise. Ce sont plutôt les périodes d’avant-course qui sont stressantes ; le stress, lui, diminue, puis disparaît dans l’action. Dans nos têtes, cela fait un petit moment déjà que nous sommes prêts. Ce record, c’est différent d’une course puisque nous allons un peu nous battre contre un bateau fantôme, même s’il y a un autre bateau sur l’eau qu’on va regarder et suivre. On sait que de notre côté nous avons un bateau exceptionnel. Si nous une bonne météo avec un peu de réussite, on peut faire un temps canon. Ce bateau va vraiment vite ! »
Franck Cammas : « Terminer ce tour du monde, c’est déjà un beau challenge. Évidemment, on a espoir de battre le record ; et c’est pour ça qu’on part. Mais rien n’est moins sûr lorsqu’on est sur le ponton du départ ! Ce qu’on part chercher dans l’Atlantique Sud, ça bouge encore. On n’est pas plus sûr en partant jeudi que ce soit mieux qu’en partant maintenant. On se disait que c’était risqué de partir avant notre concurrent dans une fenêtre moyenne, et il est moins risqué de partir derrière lui dans une fenêtre moyenne. Cela reste une fenêtre moyenne, mais lors de mon précédent record, en 2010 avec Groupama 3, nous étions partis avec une fenêtre très mauvaise et nous avons fini par battre le record. Bien sûr, l’idéal aurait été une fenêtre parfaite. Mais peut-être qu’elle n’existera pas cet hiver. Alors nous tentons déjà notre chance ce soir et après nous verrons… »
Morgan Lagravière, barreur-régleur : « Je m’attendais à un départ un peu précipité, mais pas comme ça ! Ça m’a pris deux minutes pour dire au revoir à la famille. C’est un peu intense sur le moment, mais on est très vite dans l’action. Je me projette déjà dans les actions qu’on doit dérouler. Je me projette aussi déjà dans les émotions qu’on va vivre, les émotions positives levées par l’énormité du défi que nous devons relever. C’est un honneur de faire partie de cet équipage sur ce bateau exceptionnel. Être conscient de cette chance-là dans ces moments, c’est important. J’ai hâte de passer la ligne. Comme nous ne sommes pas en course, la stimulation sportive est un peu différente. Nous allons donc nous concentrer jusqu’au franchissement de la ligne puis on va faire jouer notre instinct de compétiteurs pour se surpasser. À bord, nous sommes tous des compétiteurs, nous vibrons tous avec cette émotion, donc nous allons essayer de capitaliser sur tous nos entraînements, le travail technique qui a été réalisé et la confiance de tous ceux qui nous entourent. »
David Boileau, régleur-numéro un : « Je suis content de partir, de mettre fin à cette période de stand-by. Nous sommes prêts pour ce départ, cela fait longtemps qu’on attend ça, qu’on s’entraîne pour ça. C’est comme une libération. Nous allons nous diriger vers la ligne, on va se préparer à prendre un bon départ à Ouessant. Puis il faudra prendre notre rythme sur les deux premiers jours de mer. Prendre les choses, morceau par morceau, journée par journée, c’est dans cet état d’esprit que je pars ce soir sur mon premier Trophée Jules Verne. »
Erwan Israël, barreur-régleur : « C’est mon quatrième départ pour une tentative de Trophée Jules Verne. Cette fois-ci j’espère qu’il sera beaucoup plus rapide que les autres et surtout qu’il ira au bout, parce que sur mes quatre tentatives, j’ai pu boucler la boucle qu’une seule fois. Cet été, il y a quelques mois, je doutais encore de mes chances d’être sur le Maxi Edmond de Rothschild pour cette tentative, après m’être blessé à la jambe. La guérison a pris du temps ; et j’ai eu un gros soulagement à l’automne quand j’étais de nouveau à 100%, et apte à naviguer. Ce n’est que du bonheur. Mais je ne suis pas là pour faire de la croisière, mais pour tout donner. Passer sous la barre des 40 jours, ce sera la cerise sur le gâteau, mais ce qui compte, c’est battre le record. Si nous finissons avec dix minutes ou deux jours d’avance, peu importe. »
Yann Riou, régleur-médiaman : « C’est la première fois que je pars faire le tour du monde sur un bateau volant, et peut-être qu’il y a dix ans je n’aurais même pas compris la phrase ! C’est quelque chose d’assez génial. J’ai hâte de passer la ligne. Je pense que je vais faire pas mal de médias, vidéo-photos sur le début, puis dès que nous allons rentrer dans le système de quarts, je vais prendre ma place d’équipier à bord. »