En explosant le record autour de la mer de plus de six jours, François Gabart se voit récompenser avec toute son équipe, d’une implication totale sur son projet de multicoque géant. Le trimaran MACIF était non seulement bien né, il était surtout bien entretenu, optimisé, peaufiné, amélioré, revisité, radiographié… Et pourtant cette révolution planétaire ne fut pas de tout repos : sans une remarquable motivation, sans une préparation sans faille, sans un surpassement physique et mental, sans une détermination de tous les jours, le challenge aurait pu s’achever bien avant Ouessant.
La facilité n’est qu’apparence et la désinvolture virtuelle : les images apaisées voire sereines que François Gabart a laissé diffuser tout au long de son périple pourraient laisser entendre que ce tour du monde express ne se résume qu’à une sortie d’entrainement au large des Glénan ! Que nenni : le solitaire a l’art d’aborder les challenges avec précision, préparation, motivation. Il n’est que de voir le palmarès déjà prodigieux qu’il accumule depuis ses premiers pas en course (monotype Figaro et 60 pieds IMOCA) et depuis que MACIF lui a donné les clés pour concevoir et mener ce trimaran de trente mètres mis à l’eau à l’été 2015 : pas une course qu’il n’ait remportée… Transat Jacques Vabre 2015 avec Pascal Bidégorry, The Transat bakerly 2016 en solitaire, l’ArMen Race USHIP et The Bridge 2017 en équipage. Alors sur ce tour du monde express, si la souffrance n’était pas de mise, l’âpreté et la concentration sont restées le quotidien du skipper.
Tour à tour
Il a d’abord fallu partir, c’est-à-dire décider aux aurores d’un 4 novembre 2017 de s’élancer pour une tentative. Car à l’origine, il n’y avait pas une fenêtre météorologique fabuleuse, juste un vasistas jusqu’à l’équateur et une opportunité encore incertaine vers le Sud. Mais pourquoi attendre qu’un portail s’ouvre quand un simple battant permet déjà de passer de l’autre côté de l’hémisphère ? « Bon cavalier monte à toute main » dit le proverbe, ce qui en français moderne se traduit par « la fortune sourit aux audacieux ». Bref, il était toujours temps de revenir au point de départ après une virée tropicale ! Car « la chance aide parfois, le travail toujours ».
Or partir au débotté comme l’a fait François Gabart était gonflé en ce sens où les polaires de vitesse du trimaran indiquaient que si l’atterrissage sur le Pot au Noir était véloce, sa traversée s’annonçait laborieuse. Et elle le fut ! Et s’il n’a pas fallu longtemps au solitaire pour prendre la mesure d’une machine qu’il connaissait déjà sur le bout de ses doigts avec des vitesses moyennes de plus de trente nœuds et même des pointes frisant les quarante (en solo !), le passage de la ligne de démarcation hémisphérique était déjà frustrant : 140 milles de débours et 3h 34’ de retard sur le temps de référence établi un an plus tôt par Thomas Coville… Et une position géographique peu ordinaire sur le 34° Ouest (soit quasiment la longitude de Recife) qui ne semblait pas favorable pour aborder les alizés brésiliens.
Atours et atouts
Mais voilà : un peu plus d’une journée après, le trimaran MACIF croisait la route de son prédécesseur et mettait déjà le clignotant à gauche, cap sur l’Afrique du Sud ! La bascule était faite : dans un joli flux de secteur Nord, le skipper « envoyait du pâté » pour filer à des vitesses supersoniques vers les Quarantièmes Rugissants. Une superbe diagonale vers le cap des Aiguilles pour entrer dans l’océan Indien avec un chrono incroyable : 11 jours 22 heures 20 minutes, soit le meilleur temps de tous les temps ! Et François Gabart en profitait pour s’adjuger la plus grande distance parcourue en solo sur 24h avec 851 milles, soit 67 milles de mieux que son propre record… Et 35,46 nœuds de moyenne sur une journée.
La démonstration était faite : son plan VPLP était plus rapide que son prédécesseur (ce qu’indiquaient déjà les courses précédentes), mais surtout François Gabart avait la capacité à tenir des moyennes « affoilantes » tout en conservant une bonne marge de sécurité. Pour autant, la boîte à outil était déjà de sortie avec une latte à consolider en 2h30, réparation dont on n’a plus entendu parler jusqu’à l’arrivée. Et à la longitude du cap des Aiguilles, le solitaire avait 829 milles, soit 2j 06h 24’ d’avance ! Mais la suite était moins enthousiasmante : une méchante dépression tropicale se mettait en travers du chemin au point que le trimaran MACIF était contraint de ralentir pour laisser passer la tempête… Réduire l’allure quand il faut compresser le temps a des relents paradoxaux.
François Gabart laissera d’ailleurs quelques plumes dans cet Indien peu fréquentable : obligation de changer de stratégie en plongeant plein Sud avant les Kerguelen jusqu’à aller friser le 55° S pour remonter fissa vers le 47° S. Mais si le passage de la longitude du cap Leeuwin était encore bénéfique avec 653 milles, soit 1j 12h 59’ de marge, la suite était rude : nouvelle journée bricolage pour changer un filtre de dessalinisateur. Puis l’entrée dans le Pacifique au large de la Tasmanie était plus que mouvementée avec huit heures perdues (1j 05h 02’ d’avance) : le multicoque souffrait dans une mer si pourrie que la galette d’enrouleur du génois de brise (J2) donnait déjà des signes de faiblesse. Et une fois à mi-parcours, alors que le marin entamait son empannage par 60° Sud (brrr…), un iceberg pointait à l’horizon !
Une fois remonté vers les Cinquantièmes Hurlants, la grande cavalcade reprenait de plus belle pour atteindre son point culminant juste avant le cap Horn avec des moyennes hallucinantes de plus de trente-cinq nœuds. C’est dans cette deuxième moitié de Pacifique que François Gabart grignotait un temps considérable avec un record à la clé toutes catégories confondues : 7j 15h 15’ pour avaler le plus grand océan du monde ! Et surtout, plus de 1 200 milles d’avance sur Thomas Coville, soit 2j 08h 15’ de marge…
Le bon tour
Mais si ce tour était le bon, c’est aussi parce que l’Atlantique Sud était très coopératif, autant à la « descente » qu’à la « remontée ». Une belle dépression argentine propulsait le trimaran MACIF jusqu’à la latitude du Rio de La Plata mais avec des conséquences matérielles très plombantes. D’abord la galette de J2 ne résistait pas à la pression, obligeant le skipper à naviguer surtoilé, donc en veille permanente, impliquant de puiser au plus profond des réserves humaines. François Gabart était sur les rotules quand une bulle bienfaisante lui permit non seulement de réparer cette nouvelle avarie, mais aussi de recharger ses batteries avant le rush final.
Car ce qu’il ne faudrait pas oublier sur cette rotation planétaire, c’est que si le skipper n’avait pas tiré sur sa machine et sur son corps, l’enchaînement météorologique n’aurait pas du tout était le même : la trajectoire aurait été beaucoup plus septentrionale sur la fin de l’Indien et le début du Pacifique si le solitaire avait été dans le même temps que Thomas Coville et la remontée au large de l’Argentine aurait été particulièrement laborieuse… Aller vite était donc quasiment une nécessité pour le marin au risque de perdre tout espoir d’aligner les bonnes configurations météorologiques, des Kerguelen jusqu’à l’équateur ! Une ligne de démarcation qu’il franchissait aussi dans un temps record puisqu’il ne mettait que 6 jours 22 heures et 15 minutes pour parcourir les 3 900 milles orthodromiques qui séparent le cap Dur de l’équateur. Et la marge bondissait à près de 2 000 milles, soit 5j 13h 23’ d’avance.
Dernier détour
Le Pot au Noir perforé sans coup férir, ne rester plus qu’à négocier le grand tour de l’anticyclone des Açores, dernier obstacle pas toujours très coopératif sur un tour du monde. Mais les Dieux de la mer et du ciel furent complaisants : les alizés étaient vigoureux sans être trop puissants et la parabole presque parfaite… Jusqu’à Florès. Car il fallut ensuite transpercer un front chaud fort intrusif, puis contourner une déplaisante bulle calée devant la Bretagne. Un détour vers l’Irlande s’imposait donc avant de couper le cordon…
Après 42 jours 16 heures 40 minutes et 35 secondes de mer, soit à 27,2 nœuds de moyenne sur l’eau après 27 860 milles parcourus (22 nœuds sur la route optimale de 22 500 milles), François Gabart en finissait avec 6 jours 10 heures 23 minutes et 53 secondes d’avance sur le précédent record établi par Thomas Coville quasiment un an auparavant ! Chapeau bas.
Avance-retard sur le parcours de Thomas Coville
Équateur : + 140 milles, soit 03h 34’ de retard
Cap des Aiguilles : – 829 milles, soit 2j 06h 24’ d’avance
Cap Leeuwin : – 653 milles, soit 1j 12h 59’ d’avance
Tasmanie : – 687 milles, soit 1j 05h 02’ d’avance
Cap Horn : -1 215 milles, soit 2j 08h 15’ d’avance
Équateur retour : – 1 990 milles, soit 5j 13h 23’ d’avance
Ouessant : -2 810 milles, soit 6j 10h 23’ d’avance
Temps de référence au départ de Ouessant
Ouessant-Équateur : 05j 20h 45’
Ouessant-Cap des Aiguilles : 11j 22h 20’ (nouveau temps de référence absolu)
Ouessant-Cap Leeuwin : 19j 14h 10’ (nouveau temps de référence en solitaire)
Ouessant-Cap Horn : 29j 03h 15’ (nouveau temps de référence en solitaire)
Ouessant-Équateur retour : 36j 01h 30’ (nouveau temps de référence absolu)
Ouessant-Ouessant : 42j 16h 40’ (nouveau temps de référence en solitaire)
Temps de référence par tranche de parcours
Équateur-Cap des Aiguilles : 6j 01h 35’ (nouveau temps de référence absolu)
Cap Horn-Equateur : 06j 22h 15’ (nouveau temps de référence absolu)
Records WSSRC (en cours de validation)
Équateur-Équateur : 30j 04h 45’ (record en solitaire) précédent détenteur, Thomas Coville en 35j 21h 38’)
Océan Pacifique Sud : 7j 15h 15’ (record absolu) précédent détenteur : Francis Joyon et son équipage en 7j 21h 13’
Distance parcourue en 24h : 851 milles (record en solitaire) précédent détenteur, François Gabart avec 784 milles