Après avoir largué les amarres à Lorient au petit matin ce dimanche, le Maxi Edmond de Rothschild a franchi la ligne de départ du Trophée Jules Verne, au large de l’île d’Ouessant, à 14h09m30s (heure française) . À la barre du géant volant de 32 mètres, Charles Caudrelier, Franck Cammas et leurs quatre équipiers s’élancent à l’assaut du prestigieux chronomètre autour du monde. L’objectif : battre le record de 40 jours, 23 heures et 30 minutes établi en 2017 par Francis Joyon et les hommes d’IDEC. Afin d’y parvenir, les marins du Gitana Team devront être de retour au large de Brest et du Phare du Créac’h avant le 25 mars à 13h 38m59s (heure française). Bien que singulière, la fenêtre météo qui se présente devant les étraves du Maxi Edmond de Rothschild mérite d’être tentée car elle pourrait bien permettre à l’équipage aux cinq flèches de saisir de belles opportunités.
Une fenêtre loin des standards
Depuis vendredi matin, les skippers du Maxi Edmond de Rothschild et leur routeur, Marcel van Triest, envisagent une sérieuse opportunité de déclencher le chronomètre planétaire. Mais de fichiers en fichiers, de nombreuses divergences n’ont pas facilité le choix – toujours délicat – de la cellule météo. Fidèle à sa philosophie audacieuse et engagée, c’est finalement ce dimanche en début d’après-midi, que le grand trimaran volant armé par Ariane et Benjamin de Rothschild s’est élancé pour le record iconique de la course au large et le grand vertige qu’il procure.
Tous les membres du Gitana Team admettent, à l’instar de Charles Caudrelier, que « la fenêtre météo est un peu atypique ». Le dernier vainqueur de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe explique : « si nous avons une idée très précise de ce qui peut se passer dans l’Atlantique Nord, c’est moins le cas dans l’Atlantique Sud. Une dépression au sud du Brésil est un peu incertaine en fonction des modèles ». En somme, il faudra passer par « un trou de souris » dixit Morgan Lagravière et « avoir un peu de chance sur les enchaînements météos », poursuit Franck Cammas. Les premiers jours de mer en revanche sont bien identifiés avec « du près pour débuter et un front à aller chercher demain », souligne Erwan Israël. Si l’enchaînement s’avère ensuite moins favorable, l’équipage se réserve le droit de faire demi-tour à la latitude des Canaries pour revenir chercher une meilleure rampe de lancement à la pointe bretonne.
Concentrés, déterminés et particulièrement enthousiastes, les six membres de l’équipage du Maxi Edmond de Rothschild débutent ainsi la 1ère tentative de l’année, la 3e du plan Verdier après deux campagnes avortées, en 2020 et en 2021. La dernière s’était achevée après 12 jours de course à l’entrée des mers australes alors qu’ils étaient en avance sur le record et venaient de signer le meilleur chrono de tous les temps au cap des Aiguilles. Certes, si ce départ à la mi-février peut apparaître comme avancé dans la saison, certains se sont élancés plus tardivement, à l’instar de Sport-Elec (Olivier de Kersauzon, le 8 mars 1997) et d’Orange II (Bruno Peyron, le 2 mars 2002).
Désormais, Charles Caudrelier, Franck Cammas et leurs équipiers ont les yeux rivés sur les points de passage, notamment au large de l’Afrique du Sud. « On se doit d’avoir au moins 24 heures d’avance sur le passage au Cap de Bonne Espérance de Francis Joyon (12 jours, 19 heures) », souligne Charles. Les objectifs sont donc bien identifiés et le contre-la-montre est plus que jamais lancé !
Les chiffres à retenir
Franchissement de ligne : le 12 février 2022 à 14h09m30s (heure Fra), 13h09m30s TU
Date limite d’arrivée pour battre le record : le 25 mars 2023 à 13h38m 59s (heure Fra), 12h38m59s TU
Record à battre : 40 jours, 23 heures et 30 minutes > Record détenu par Francis Joyon et son équipage (Idec Sport) depuis le 26 janvier 2017.
Ils ont dit
Charles Caudrelier : « C’est une fenêtre un peu atypique mais on arrive en fin de stand-by, on a envie de tenter notre chance, d’autant que les fichiers donnaient des bons temps de passage hier soir. Si on a une idée très précise de ce qui peut se passer dans l’Atlantique Nord, c’est moins le cas dans l’Atlantique Sud. Il y a une dépression au sud du Brésil qui est un peu incertaine en fonction des modèles. Mais nous avons décidé que ça valait le coup d’essayer, même si on doit faire demi-tour si ce n’est pas le cas. L’objectif, c’est d’aller le plus loin possible. Une des zones où on peut gagner le plus de temps par rapport au précédent record, c’est dans l’Atlantique. On se doit d’avoir au moins 24 heures d’avance sur le passage au cap de Bonne Espérance de Francis Joyon (12 jours, 19 heures). Il avait mis la barre très haut et on sait que son record sera difficile à aller chercher. Le plus dur dans ce record, c’est d’arriver à terminer avec un bateau à 100 %. Mais on pense que le Maxi Edmond de Rothschild est arrivé à maturité ! »
Franck Cammas : « C’est la première fois que nous franchissons la ligne de départ cette année. Nous savons que pour réussir ce record, il est important d’avoir un peu de chance sur les enchaînements météos. Les journées qu’on perdra lors de la première phase pourraient être rédhibitoires pour le record. C’est pour ça qu’on a mis du temps à partir. On ne peut pas perdre de temps, d’autant que le record de Francis (Joyon / IDEC – ndlr) est très bon dans l’hémisphère sud ! Les records, pour les battre, il faut les tenter avant tout. »
Morgan Lagravière : « Je n’avais pas vraiment d’inquiétude sur le fait qu’on parte. Quand on voit la dynamique dans laquelle sont toujours Charles et Franck, on savait qu’on allait y aller. C’est un moment fort, un moment aussi d’éloignement de la famille, donc il y a pas mal d’émotions et de sentiments qui se partagent dans la tête. Mais c’est globalement très positif. Après, on garde la tête froide car on sait qu’il y a pas mal d’incertitudes dans cette fenêtre-là. On a vraiment envie d’aller dans les mers australes. C’est une case que je n’ai pas encore cochée dans ma carrière. Le bateau est exceptionnel, l’équipage est top : ce sont de très bonnes conditions pour prendre du plaisir et vivre cette expérience unique. On va croire en notre bonne étoile pour avoir les planètes qui s’alignent aussi au niveau de la météo. »
David Boileau : « Bien sûr, on est dans un état d’esprit conquérant ! Ça fait un mois et demi qu’on attend et on est forcément très contents de partir. Pour nous tous, c’est une forme de libération. Nous savons que la fenêtre n’est pas formidable mais on va y aller, on va tenter notre chance. Si la météo s’avère moins bonne, on fera demi-tour et on attendra pour la suivante. Mais ça bouge, ça donne envie de se faire plaisir et de tout donner ! »
Erwan Israël : « Ce n’est que la deuxième fois que je me change dans le bateau depuis le début du stand-by (rires) ! Finalement, on n’avait jamais vraiment envisagé un départ. Cette fois, c’est la bonne ! Forcément, on en a tous un peu marre de cette période de stand-by, de regarder la météo… Là, on est ravi, on a tous le sourire et on y croit. Même s’il y a des incertitudes, l’Atlantique Nord est plutôt bon, la fenêtre météo est intéressante, on va faire du près et chercher un front demain donc ça rend le challenge encore plus sympa ! »