Pascal Bidégorry / Banque Populaire V

Les tentatives de record, à l’assaut du Trophée Jules Verne, sont autant d’aventures océaniques, qui méritent d’être racontées ici.

 
Graves avaries ou retards trop importants ont souvent stoppé des capitaines courageux dans leur élan. D’autres skippers sont parvenus à boucler leur tour… Seulement pas assez vite pour battre le record alors établi.
 
Ces performances, histoires d’hommes, de femmes et de bateaux, seront retranscrites dans ces pages.
 
À bientôt !

Franck Cammas / Groupama 3

Cinq ans après la performance historique de Bruno Peyron, l’équipage de Franck Cammas affronte le chronomètre sur les trois océans. Objectif : le monde en moins de 50 jours. Le jeune skipper vient d’essuyer deux revers sur le parcours. De mornes calmes en sprint soudains, son troisième essai le mènera à la victoire.

2004 : Groupama annonce la création d’un trimaran géant destiné à battre les records à la voile historiques et, en guise de bouquet final, le Trophée Jules Verne(1)(1)Le Monde en 48 jours, Luc Le Vaillant, Dominic Bourgeois, Yvan Zedda, Mer&Découverte éditions, 2010..
Le calendrier prévu par le sponsor est serré. Le défi commence dès lors. Les architectes Marc van Peteghem et Vincent Lauriot-Prevost sont chargés de dessiner, en un an et demi, le nouveau prototype et le chantier Multiplast – dont sont issus la plupart des vainqueurs du Trophée – de le construire.
Dès juin 2006, Groupama 3 est prêt. C’est un trimaran de 31,5 mètres, plus court que les maxi catamarans qui courent sur le circuit depuis près d’une décennie, mais aussi plus léger, réactif et plus facile à mener par dix équipiers, par quarts de trois sur le pont.

Le champion de Groupama, Franck Cammas, est un petit génie de la voile de compétition. S’il n’a jamais croisé le cap Horn et ignore tout des mers du sud, ses équipiers(2)(2)Équipage : Franck Cammas, Fredéric Le Peutrec et Stève Ravussin (chefs de quart); Lionel Lemonchois, Loïc Le Mignon et Thomas Coville (barreurs); Ronan Le Goff, Jacques Caraës et Bruno Jeanjean (équipiers d’avant) et Stan Honey (navigateur). Sylvain Mondon de Météo France pour le routage à terre. comptabilisent 13 tours du monde et quatre d’entre eux sont détenteurs du Trophée Jules Verne : Thomas Coville avec Olivier de Kersauson en 1997 ; Jacques Caraës, Ronan Le Goff  et Lionel Lemonchois, avec Bruno Peyron en 2002 et 2005.

Après une mise en jambe musclée, quatre records conquis dans l’Atlantique(3)(3)Route de la Découverte, mai 2007 : 7 jours, 10 heures, 58 minutes et 53 secondes ; Miami-New-York, juin 2007 : 1 jour, 11 heures 5 minutes et 20 secondes à 27 nœuds de moyenne ; distance parcourue en 24 heures, juillet 2007 : 794 milles à 33,08 nœuds de moyenne ; et traversée de l’Atlantique, juillet 2007 : 4 jours, 3 heures, 57 minutes, 54 secondes à 28,65 nœuds de moyenne. et un en Méditerranée(4)(4)Traversée de la Méditerranée, mai 2009 : 17 heures, 8 minutes, 23 secondes, à 26,4 nœuds de moyenne., les dix équipiers de Groupama 3 se lancent à l’assaut du Trophée Jules Verne. Deux fois, ils sont forcés d’abandonner, alors que Groupama 3 avait engrangé les milles d’avance sur Orange II et amélioré plusieurs temps de référence intermédiaires. Le 18 février 2008, le trimaran se retourne au large de la Nouvelle-Zélande. Le 29 décembre 2009, un flotteur se fissure au large de l’Afrique du Sud. L’avarie est impossible à réparer en mer.
La déception est immense. Les hommes de Cammas savent qu’ils repartiront vite, mais non sans appréhension.

26 avril 2008, arrivée du maxi trimaran Groupama 3 à Lorient après son chavirage lors de sa première tentative. ©Yvan Zedda / Groupama Team 26 avril 2008, arrivée du maxi trimaran Groupama 3 à Lorient après avarie lors d’une première tentative. ©Yvan Zedda / Groupama Team

Pari gagnant

Le troisième départ est soudain. Groupama 3 franchit la ligne Ouessant – Cap Lizard dès le 31 janvier 2010, à 13 heures 55 minutes et 53 secondes (GMT). Les conditions météo ont été très peu propices en ce début d’année. Il faut profiter d’une fenêtre optimale, mais loin d’être idéale, pour attraper l’équateur en moins d’une semaine et bénéficier d’une salutaire dépression au large du Brésil. En fait, l’enchaînement relève du pari, car les prévisions ne sont plus certaines au-delà de sept jours.

©Yvan Zedda / Groupama Team ©Yvan Zedda / Groupama Team

La première et principale incertitude est levée, lorsque la pointe espagnole du cap Finisterre est doublée en moins de 24 heures. « Nous naviguons sous gennaker et grand voile haute sur une mer calme qui nous permet de bien glisser, s’enthousiasme Franck Cammas le 1er février, nous avons réussi à franchir ce passage délicat au nord du cap Finisterre où il ne fallait pas être en retard au risque de se faire bloquer dans l’anticyclone : la première barrière est derrière nous ! »
Au-delà, Groupama 3 progresse vite et bien dans les alizés et parvient à s’affranchir d’un stationnement prolongé dans la pétole du pot au noir. L’équateur est coupé en 5 jours, 19 heures et 7 minutes, soit 3 heures et 44 minutes de moins que le meilleur temps réalisé jusqu’alors sur cette tranche du parcours par… Groupama 3, en novembre 2009 !

Bulles

Groupama 3 assure 22 nœuds de moyenne depuis le départ de Ouessant et cavale avec plus d’une journée d’avance sur le détenteur du Trophée Jules Verne. Seulement, l’anticyclone de Sainte Hélène, principal barrage de l’Atlantique sud, étend très haut en latitude une large zone de calmes. Cammas et ses hommes sont contraints de contourner le phénomène en se rapprochant des côtes brésiliennes. La vitesse du trimaran ne diminue pas – Groupama 3 réalise souvent des pointes à plus de 30 nœuds – mais cette courbe à l’ouest rallonge son parcours.

Les dix équipiers tentent un chemin de traverse dès le neuvième jour de mer. Sans succès. Piégés, il leur faut attendre une dépression venant des côtes d’Amérique du sud et qui ne vient pas. Pour ne rien arranger, l’anticyclone de Sainte Hélène s’éparpille en s’effilochant et sème des bulles anticycloniques sur la trajectoire du bateau. Au douzième jour de mer, Orange II alors devancé passe virtuellement devant Groupama 3. Par 37 degrés de latitude sud, les vents sont toujours instables, la vitesse moyenne du trimaran tombe entre 8 et 14 nœuds.
Groupama 3 retrouve enfin le vent au large de l’archipel de Tristan da Cunha, longitude 12°19 Ouest, et file soudain à 35 nœuds sur une mer plate. Cap sur l’océan le plus redouté du parcours.

©Groupama Team

©Groupama Team Stève Ravussin et Thomas Coville. ©Groupama Team

Coup de frein et accélération

Le trimaran de Cammas n’accuse plus que sept heures et demie de retard sur Orange II lorsque le cap de Bonne-Espérance est franchit, puis le 15 février, après 14 jours, 15 heures et 47 minutes de mer, celui des Aiguilles qui marque l’entrée dans l’océan Indien.
Alors que les dix équipiers attendent un bon flux de nord ils sont contraints de ralentir la cadence. Coup de frein caractéristique de ce tour du monde par à coups, le vent faiblit à moins de 10 nœuds (18 km/h), la vitesse du bateau chute à 20 nœuds. Groupama 3 est de nouveau pris au piège et tente de s’échapper en enchaînant les changements de cap.
« Les systèmes météo nous emmènent sur une trajectoire assez nord, précise Franck Cammas par radio, le 17 février(5)(5)Transcriptions de vacation radio, statistiques et récit de course détaillé sur www.fralo.info, par 42°Sud, mais ce n’est pas si mal pour éviter les icebergs qui se situent du côté des Kerguelen. Nous n’avons pas pris le risque de plonger plus au sud car on pouvait se retrouver avec une dépression sur notre bâbord, avec des vents contraires, et ça, ce n’est pas bon du tout ! Mais notre choix nous impose de maintenir des moyennes élevées pour rester dans ce bon régime. »
Au dix-septième jour de mer, le retard sur Orange II est de 338 milles (719 km).

©Groupama Team ©Groupama Team

Le vent que cherchaient les dix équipiers depuis leur entrée dans l’océan Indien touche Groupama 3 trois jours plus tard, au sud des îles Crozet. Le speedomètre affiche des pointes à 35, et 30 nœuds de vitesse moyenne. La trajectoire est enfin droite, le long du 45°Sud, vers la Tasmanie, avec un vent de secteur ouest à nord-ouest d’une vingtaine de nœuds.
Le trimaran franchit bientôt la longitude du cap Leeuwin, réalisant dans la nuit du 22 février son premier meilleur temps de référence lors de cette troisième tentative sur le parcours du Trophée Jules Verne : cap des Aiguilles-cap Leeuwin, en 6 jours 22 heures 34 minutes.
Le challenger d’Orange II n’a plus que quatre heures de retard à rattraper pour revenir à sa hauteur. La mer est organisée, le vent stable et régulier souffle 20 nœuds (37 km/h) du nord-ouest. Les équipiers de Cammas quittent l’océan Indien sous un ciel piqué de milliers d’étoiles. La Croix du Sud est au firmament.

Coude à coude

Le record de la traversée de l’océan Indien est battu le 23 février, en 8 jours, 17 heures et 39 minutes. Groupama 3 prend à nouveau l’avantage sur le temps de référence du Trophée Jules Verne. « Nous suivons notre progression par rapport à Orange II et même si ce n’est pas un concurrent direct, nous regardons sa trace virtuelle, déclare le chef de quart et barreur Frédéric Le Peutrec à la vacation radio du jour, nous savions que sous l’Australie, nous allions récupérer notre retard car Bruno Peyron et son équipage avaient dû effectuer plusieurs empannages avec des phases de ralentissement. Mais ils avaient traversé très rapidement le Pacifique… Ce sera difficile de tenir sa moyenne jusqu’au cap Horn. »

L’avance sur la performance du catamaran de Bruno Peyron est encore mince : 200 milles (370 km) à l’entrée du plus vaste océan du monde. Il faut à présent gagner dans le sud afin de raccourcir la route vers le cap Horn. Car les degrés de latitude défilent plus rapidement au plus près de l’Antarctique, où les méridiens sont de plus en plus proches.

Le 25 février, les dix équipiers sont à mi-parcours. Ils progressent à bonne allure sous les 50 degrés de latitude sud et continuent d’engranger les milles d’avance. Mais, dès le 27 février, un front froid rattrape Groupama 3 qui doit empanner deux fois en faisant route vers le cap mythique.

©Groupama Team ©Groupama Team

Par 55°Sud, à l’approche du Horn, la mer se durcit, le froid se fait plus vif. Les conditions se dégradent d’heure en heure. Dans une houle chaotique et des grains violents, le trimaran file vers le nord-nord-est – un détour indispensable quoique coûteux en milles et en temps – pour esquiver une perturbation déboulant à 45 nœuds sur sa trajectoire. Et pour éviter un champ de glace. Au vingt-huitième jour de navigation, des vents à 80 nœuds (145km/h) s’engouffrent dans détroit de Drake, entre pointe sud-américaine et continent antarctique. Puis le vent s’écroule et tourne au nord, trois jours plus tard, alors que Groupama 3 est en vue des côtes chiliennes.
En doublant enfin le cap Horn le jeudi 4 mars, à 18h30 (GMT), Groupama 3 concède 59 minutes à Orange II sur son record de la traversée du Pacifique, en 8 jours, 18 heures et 8 minutes. Pour autant, le trimaran conserve 175 milles (324 km) d’avance sur la performance du catamaran géant. La course reste serrée.

©Groupama Team ©Groupama Team

Laborieux Atlantique

Tandis que Franck Cammas voyait pour la première fois le caillou, Thomas Coville fêtait son 7ème passage du cap Horn. « Même pour les plus blasés, c’est toujours un très bon et très grand moment, confie le barreur via radio, le 6 mars, avant tout une transition importante, c’est un point de mire d’autant que cette fois il s’est fait attendre longtemps ! Maintenant on rentre dans une autre logique du parcours qui devient un contre la montre pour aller jusqu’au bout du projet de battre le record. » Coville, comme les autres équipiers de Groupama 3, croit toujours au Trophée Jules Verne, malgré la promesse d’une remontée de l’Atlantique laborieuse.

Groupama 3, entré au près rapide dans l’Atlantique quand Orange II bénéficiait de vents portants, a tracé sa courbe très à l’est, rallongeant ainsi la route du retour. Dès le trente-cinquième jour de mer, l’avantage sur le catamaran de Bruno Peyron est perdu. La météo se dégrade. Groupama 3 doit sans cesse adapter sa trajectoire et son allure à des conditions brutales et changeantes : bulles anticycloniques et vent dans le nez au large de l’Uruguay ; orages alternant calmes et violentes rafales au large du Brésil. Les équipiers de Cammas redoutent la casse. « On ne s’attendait pas à ce que cette phase de vents forts soit si longue ! Le mauvais temps avec 35-37 nœuds (64-68 km/h) ne devait durer que de 4 heures à 10 heures mardi. En fait, il a duré quatre heures de plus en montant jusqu’à 42 nœuds (78 km/h) et une mer forte », raconte Loïc Le Mignon le 10 mars.

Pour rejoindre l’équateur aussi vite que possible, Groupama 3 doit éviter de se rapprocher des côtes du Brésil, sous peine de tomber dans une zone de calmes, et se garder de gagner trop au large, où un vent de nord-est compromettrait sa progression.
Lorsque le plus grand parallèle de la Terre est franchit le 14 mars, après 41 jours 21 heures et 9 minutes de mer, le retard de Groupama 3 sur Orange II est de 405 milles (750 km), soit un peu plus d’une journée. La distance est presque décourageante, mais les dix équipiers espèrent la voir fondre dans les alizés de l’hémisphère nord.

©Groupama Team

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Sprint Final

Passé l’équateur, il ne reste que 8 jours et 19 heures aux hommes de Groupama 3 pour arriver à Ouessant dans les temps. Bruno Peyron avait mis 9 jours 11 heures et 15 minutes pour finir cette dernière étape, en 2005.
« Heureusement, Groupama 3 est à l’aise dans le petit temps », se rassurait Franck Cammas, le 14 mars. Heureusement pour le skipper, sa chance tourne en même temps que le vent. Le trimaran parvient à accrocher rapidement des alizés soutenus au large du Cap-Vert. Le 16 mars, Groupama 3 double à nouveau son concurrent virtuel. Les dix équipiers ont en ligne de mire le prochain obstacle : l’anticyclone des Açores et sa barrière de vents faibles. Sylvain Mondon, le routeur à terre, annonce aussi une série de fronts dépressionnaires dont il faudra tirer tout le potentiel pour foncer vers Ouessant.

Dès le 17 mars, dans un flux perturbé de secteur sud-ouest, Franck Cammas et ses neuf équipiers se positionnent en avant d’un front froid. « On a accroché le système qui va jusqu’en Bretagne. Si nous n’avons pas d’ennuis techniques, nous n’avons plus à avoir de crainte météorologique. On est dans le dernier train de vent qui va jusqu’à l’arrivée », annonce Fred Le Peutrec lors de la vacation radio quotidienne.
Mais le final ne se fera pas sur des rails. Franck Cammas et Stan Honney, le navigateur du bord, prévoient une série d’empannages pour ramener le bateau au sud de la dépression, afin de lui épargner trop de chahut. À 1500 milles (2778 km) d’Ouessant, le vent se fait plus instable bascule du sud-ouest au nord ouest. Les équipiers multiplient les manœuvres. Le bateau, fatigué par son tour du monde à toute vitesse, saute sur les vagues. Il faut encore accélérer malgré le risque de casse, car une dorsale anticyclonique se dessine dans le sillage du trimaran.

C’est en pleine nuit, le 20 mars, que Franck Cammas et ses neufs équipiers franchissent la ligne d’arrivée du Trophée Jules Verne, sous les éclats du Créac’h, le monumental phare d’Ouessant. Ils viennent de boucler leur tour du monde par les trois caps en 48 jours, 7 heures, 44 minutes et 52 secondes et de battre le record de vitesse autour du monde. Passés sous la barre symbolique des 50 jours, ils s’offrent en bonus un record absolu sur la dernière partie du parcours : l’Atlantique nord, avalé en 6 jours, 10 heures et 35 minutes.

Battu de 2 jours, 8 heures et 35 minutes Bruno Peyron, skipper d’Orange II en 2005, félicite ses heureux challengers au complet – équipiers, équipe à terre, technique et météo, architectes, sponsor : « Tous méritent ce succès construit avec méthode. Ils écrivent ainsi, ensemble, une nouvelle belle page de l’histoire du « Trophée Jules Verne ». Je suis fier d’avoir été battu par la meilleure équipe de multicoque océanique actuelle et j’ai hâte de relancer notre équipe pour la « reconquête ». »

Arrivée à Brest de Groupama 3. ©Yvan Zedda / Groupama Team

Arrivée à Brest de Groupama 3. ©Yvan Zedda / Groupama Team Arrivée à Brest de Groupama 3. ©Yvan Zedda / Groupama Team

Franck Cammas / Groupama 3

Les tentatives de record, à l’assaut du Trophée Jules Verne, sont autant d’aventures océaniques, qui méritent d’être racontées ici.

 
Graves avaries ou retards trop importants ont souvent stoppé des capitaines courageux dans leur élan. D’autres skippers sont parvenus à boucler leur tour… Seulement pas assez vite pour battre le record alors établi.
 
Ces performances, histoires d’hommes, de femmes et de bateaux, seront retranscrites dans ces pages.
 
À bientôt !

Franck Cammas / Groupama 3

Les tentatives de record, à l’assaut du Trophée Jules Verne, sont autant d’aventures océaniques, qui méritent d’être racontées ici.

 
Graves avaries ou retards trop importants ont souvent stoppé des capitaines courageux dans leur élan. D’autres skippers sont parvenus à boucler leur tour… Seulement pas assez vite pour battre le record alors établi.
 
Ces performances, histoires d’hommes, de femmes et de bateaux, seront retranscrites dans ces pages.
 
À bientôt !

Bruno Peyron / Orange II

Le pionnier du Trophée Jules Verne rétablit son autorité sur le circuit par les trois caps. Avec un bateau réglé au millimètre, un équipage dévoué et une météo alliée, Bruno Peyron s’offre une volte virtuose. Le skipper baulois bat le record de vitesse autour du monde pour la troisième fois de sa carrière et remporte le Trophée haut la main.

Le 24 janvier, à 11 heures, 3 minutes et 7 secondes heure locale, le maxi catamaran Orange II franchit la ligne de départ, un trait imaginaire tendu entre Ouessant et le Cap Lizard. 2005 marque le centenaire de la mort de Jules Verne. Bruno Peyron honore la mémoire du père de Phileas Fogg en relevant une fois de plus le défi du tour du monde en moins de 80 jours.
Cette fois, l’enjeu est double. Il s’agit de reprendre le Trophée Jules Verne à Olivier de Kersauson, l’éternel rival, mais aussi, pour Peyron, de battre le record absolu de vitesse autour du monde détenu par le milliardaire aventurier Steve Fossett.

Les deux adversaires virtuels d'Orange II : Cheyenne et Geronimo... ©Photo Jean-Baptiste EpronEncouragements au départ du défi. Les deux adversaires virtuels d’Orange II sont Cheyenne et Geronimo… ©Photo Jean-Baptiste Epron

Polémique

En 2002, une polémique avait eu lieu entre les « légalistes » – fondateurs du Trophée Jules Verne au premier rang desquels Florence Arthaud et Titouan Lamazou – et les supporters de Fosset. Avant sa tentative, ce dernier avait refusé de s’acquitter des frais d’inscription inhérents au règlement du Trophée et de se soumettre à l’interdiction d’assistance extérieure, propre à ce même règlement.
Fossett, non inscrit, avait finalement bouclé brillamment son tour du monde, sur le parcours édicté par les règles du Trophée et sans aide extérieure, en 58 jours, 9 heures et 32 minutes à bord de son catamaran Cheyenne. À l’issue de ce tour du monde victorieux, le skipper américain avait bien manifesté le désir de payer son inscription et de voir son record gravé sur la plaque du mythique Trophée. L’association Tour du monde en 80 jours, garante des règles de la course salua sa performance mais refusa de l’inscrire au palmarès du Trophée. C’est Olivier de Kersauson, parti plus tard dans la saison à bord du trimaran Geronimo, qui avait hérité du titre et ajouté pour la seconde fois son nom à la liste des skippers victorieux du Trophée Jules Verne.
Bruno Peyron, en sa qualité de double détenteur du record, en 1993 puis en 2002, avait réagi en faveur de Steve Fossett : « Je déplore que ce nouveau temps de référence ne se soit pas exprimé dans le cadre du Trophée Jules Verne. Il est dommage que les individualismes et les intérêts personnels des uns et des autres nous amènent à des situations qui nuisent à l’intérêt général. »
À sa manière, près de trois ans plus tard, le skipper baulois s’apprête à redonner tout son brillant au défi qu’il pense terni.

14 + II.

© Photo Jacques Vapillon © Photo Jacques Vapillon

« Orange II est le bateau a priori le plus rapide du monde, affirme Bruno Peyron avant de larguer les amarres, il a montré son haut potentiel cet été avec le record des 24h et celui de la Méditerranée. À nous de montrer qu’il est aujourd’hui le plus rapide autour du monde. »
Orange II est une bête de concours, conçu pour la vitesse au long cours : 36,80 mètre de long, 18 mètres de large, des coques hautes et effilées propres à fendre la vague, et un mât-aile de 45 mètres pour 1100m2 de voilure au portant.
« Orange II présente la synthèse de tout ce que nous avons appris sur les grands bateaux de course depuis dix ans, résume Gilles Ollier, l’un des concepteurs du catamaran(6)(6)Orange II a été conçu par Gilles Ollier et construit au chantier Multiplast de Vannes., les connaissances acquises nous permettraient de construire la coque d’un bateau de 60 mètres, deux fois plus long que celui-là, mais l’équipement doit suivre et l’équipage rester maître de la machine. » La grand-voile d’Orange II pèse 600 kilos, l’effort sur l’écoute de grand-voile est de 22 tonnes. Bruno Peyron sait son bateau très grand, très lourd et très toilé. « Il faut toujours garder une lucidité totale par rapport au potentiel de puissance que nous avons entre les mains », estime-t-il.

Pour son tour du monde à grande vitesse, Peyron peut compter sur 13 équipiers(7)(7)Les équipiers d’Orange II : Bruno Peyron (skipper), Roger Nilson (navigateur, médecin), Lionel Lemonchois (chef de quart-barreur), Philippe Péché (chef de quart-barreur), Yann Elies (chef de quart-barreur), Ronan Le Goff (N°1, responsable accastillage et gréement), Sébastien Audigane (barreur, responsable sécurité), Jacques Caraes (régleur, responsable vidéo), Florent Chastel (N°1, responsable gréement courant), Yves Le Blévec (régleur, responsable organisation générale), Jean-Baptiste Epron (régleur, responsable avitaillement et logistique), Nicolas de Castro (N°1, responsable composite), Ludovic Aglaor (barreur), et Bernard Stamm (barreur, responsable mécanique). aguerris, régatiers et cap horniers, dont certains sont familiers de l’épreuve et du bateau. Si descendre sous la barre des 60 jours reste hypothétique, l’équipage sait qu’il ne dispose de vivres que pour 58 jours. « C’est psychologiquement assez bon de se dire qu’on aura plus à bouffer au delà de 58 jours », commente le skipper.

Tableau de chasse

Le temps de passage à l’équateur le plus court, en 6 jours 11 heures et 26 minutes depuis Ouessant, sera le seul record laissé à Olivier de Kersauson. Passée cette première marque géographique du parcours, les quatorze équipiers d’Orange II dominent les chronomètres de Geronimo et Cheyenne.
Le 5 février, au treizième jour de navigation, l’anticyclone de Sainte Hélène est déjà derrière eux. « Ce matin, les portes du Sud, celles du grand large, se sont ouvertes avec leur cortège d’oiseaux immenses, claironne Jean-Baptiste Epron, le reporter du bord, les couleurs ont viré au gris, le soleil va maintenant nous bouder un certain temps. Du grand et fier solent nous sommes passés au petit gennaker, dit « string » ! »

Bruno Peyron atteint la longitude du cap de Bonne Espérance (20° Est) à 18h22 (GMT) le 7 février, en signant deux nouveaux temps de référence : Ouessant- Cap de Bonne Espérance en 14 jours, 5 heures et 21 minutes(8)(8)2 jours, 6 heures et 16 minutes de moins qu’Olivier de Kersauson en 2003. et Équateur – Cap de Bonne Espérance en 7 jours, 2 heures et 22 minutes(9)(9)2 jours, 11 heures et 5 minutes de moins que Steve Fossett en 2004.. Orange II compte alors quatre jours d’avance sur les deux records à battre.

Le premier iceberg, cinquante mètres de long pour dix mètres de haut estimés, est aperçu à six milles (11 km) du bord le 8 février. À la barre, Bernard Stamm loffe à temps pour éviter à vingt mètres près un glaçon échappé du cortège de growlers roulant dans le sillage des icebergs. Une veille depuis le flotteur sous le vent est ajoutée à la veille au radar. On redouble de prudence à bord du catamaran. Et, comme si les éléments voulaient épargner trop de vitesse au catamaran en terrain miné, le vent faiblit. Sous l’œil curieux des albatros, le répit de courte durée est mis à profit pour inspecter un gréement promis à rude épreuve dans ce Grand Sud où progresse Orange II.

©Photo Jean-Baptiste Epron

©Photo Jean-Baptiste Epron ©Photo Jean-Baptiste Epron

Reprise dès le 12 février. Sous petit gennaker, trinquette et grand-voile à un ris, Orange II fonce. Le catamaran passe la longitude du cap Leeuwin (115°08 E) à 23h58 (GMT), soit après 21 jours, 13 heures et 54 minutes de mer depuis Ouessant, à la moyenne de 22,8 nœuds. L’océan Indien vient d’être avalé en 7 jours, 8 heures et 33 minutes.
Bruno Peyron doit alors ralentir la cadence dans une mer formée et des creux de six à huit mètres pour se laisser devancer par un front violent prévoyant un vent moyen de 40 à 45 nœuds (83 km/h).

Le 19 février, après 25 jours, 21 heures et 33 minutes depuis Ouessant, le Baulois et ses hommes d’équipage doublent l’antiméridien(10)(10)Le 180ème méridien, à l’opposé du méridien de Greenwich., établissant un nouveau temps de référence. L’avance de quatre jours sur le record absolu de Cheyenne est maintenue. La vitesse moyenne d’Orange II depuis le départ est portée à 23.2 nœuds.

Les quatorze équipiers doublent le cap Horn par une nuit opaque, le 26 février, à 23 h 32 (GMT), et pulvérisent au passage tous les temps intermédiaires : Ouessant – Cap Horn en 32 jours 13 heures et 29 minutes ; Tasmanie – Cap Horn en 8 jours, 18 heures et 6 minutes ; Cap de Bonne Espérance – Cap Horn en 18 jours, 8 heures et 8 minutes ; Cap Leeuwin – Cap Horn en 10 jours, 23 heures et 35 minutes.

Peyron devance alors Fossett de 7 jours, 2 heures et 47 minutes.

Punition

©Photo Jean-Baptiste Epron ©Photo Jean-Baptiste Epron

« Super accueil », ironise Jean-Baptise Epron, à l’entrée dans l’Atlantique. Sous des grains à 50 nœuds (92 km/h), on prend des ris, enroule le gennaker pour enfin tout affaler. Orange II connaît là le maximum de vent qu’il aura à déplorer sur un tour où les systèmes météo semblent s’enchaîner pour paver la voie au maxi-catamaran.
Quand, par 40 nœuds de vent, Orange II passe à quelques centaines de mètres des cailloux des Malouines et des cargos au mouillage, le ciel est dégagé, la mer est plate.

Le 5 mars, via radio, Bruno Peyron se révèle pourtant méfiant : « Depuis trois jours, chaque fois que j’ouvre un fichier météo, je préfère le refermer en essayant de me convaincre que tout cela a le temps de changer et qu’il n’y a pas de raison de se stresser pour rien. Mais à chaque nouveau fichier, c’est pire… Tenons nous donc demain prêts à payer notre insolence d’hier… » Orange II est empêtré dans une zone de calme. La pétole use les nerfs. Leurs réserves de cigarettes épuisées, les fumeurs du bord se font irritables. « Pour l’équipage, après avoir passé une quarantaine jours à 25 nœuds, se traîner à trois nœuds avec des pointes à six, c’est difficile à supporter », résume Epron. Pour occuper le temps mort et en prévision de l’Atlantique nord, on opère une vérification générale de la carène et du gréement. La fatigue d’un tour du monde aux deux tiers achevé est palpable.

©Photo Jean-Baptiste Epron

©Photo Jean-Baptiste Epron ©Photo Jean-Baptiste Epron

Dès le 6 mars, l’équateur est franchit au portant. Le passage au nord voit le retour de la pluie, du ciel gris et du près. Orange aura mis 40 jours, 19 heures et 9 minutes depuis Ouessant pour couper la latitude 0°. Deux nouvelles performances sont à signaler : Cap Horn-Équateur en 8 jours, 5 heures et 36 minutes et Équateur-Équateur, en passant par les trois caps (Bonne-Espérance, Leeuwin et Horn), en 33 jours, 16 heures et 9 minutes. De quoi rasséréner le skipper.

Mais Peyron, qui devance pourtant Fossett de 9 jours et 8 heures, craint toujours le revers de météo qui viendrait compromettre son confortable exploit. « En clair, j’ai l’impression que l’on doit se préparer à une véritable punition pour cette dernière partie de parcours, confie-t-il via radio, peut-être pour nous faire payer cette presque trop parfaite trajectoire depuis le début, ces enchaînements de rêve, ces milles avalés à 30 nœuds et ces dix jours d’avance presque irréels aux trois quarts du voyage. »(11)(11)Transcriptions de vacation radio, statistiques et récit de course détaillé sur www.fralo.info

Terminus, tout le monde Ouessant !

© Photo Jacques Vapillon © Photo Jacques Vapillon

L’anticyclone des Açores dresse un barrage difficile à contourner, mais à maxi catamaran rien d’impossible. Orange II retrouve le vent dès le 12 mars, qui le déposera en gare d’Ouessant dans la nuit du 15 au 16 mars au terme de 50 jours, 16 heures et 20 minutes de mer. Orange a maintenu près d’une semaine d’avance sur le milliardaire aventurier, et 12 jours, 21 heures, 39 minutes sur le précédent détenteur du Jules Verne. Le record de Fossett est mis en archives, Kersauson est détrôné.

Le skipper breton salue publiquement la performance de son concurrent et partage sa fierté : « La barre des cinquante jours est maintenant toute proche. Aucun autre sport mécanique ne peut s’enorgueillir d’une telle progression, chaque génération de bateaux repoussant les limites encore plus loin. De ce Trophée Jules Verne, qui reste la référence absolue de l’engagement humain et technique, Bruno Peyron vient d’écrire, pour la troisième fois, un chapitre magnifique. »

En 2005 comme en 1993, l’exploit est inattendu, le record plus spectaculaire encore. Pourtant, pour le marin au long cours, l’essentiel ne se résume pas à la gloire. « Ceux qui, comme nous, ont le privilège de voyager loin et longtemps sont partagés à l’approche de la fin, confiait Bruno Peyron la veille de sa victoire, il y a bien sûr l’envie d’arriver, de clore l’histoire en beauté, de retrouver ses proches et tous ceux que l’on aime. Mais en même temps, nous prenons conscience que nous allons nous séparer et le groupe magique que nous formons va s’éparpiller…»

Olivier de Kersauson / Geronimo

Nouveau duel Kersauson vs. Peyron sur le parcours du Trophée. À bord du maxi-trimaran Geronimo, le Breton et ses dix équipiers sont décidés à ravir son titre au Baulois. Leurs plus féroces adversaires sont au rendez-vous : tempêtes, vents contraires et lames « casse-bateau ». Les éléments jouent contre lui. Olivier de Kersauson a fait du Jules Verne son obsession.

« On peut pas passer là-dedans, on peut pas passer travers à la lame avec du vent, c’est un coup à se retrouver sur le toit… Ça fait quatre jours qu’on est plus en course, on est là à faire de la survie… Si ça évolue pas, la seule chose qu’on pourra faire c’est aller fuir dans le nord. Et on passera jamais le Horn. »
29 mars, 32ème jour de mer. 51° de latitude sud, 179° de longitude ouest. Un vent de secteur sud souffle 40 nœuds (74km/h) aux portes du Pacifique. Sous mât seul, Geronimo s’emballe à 27 nœuds. Une mer dure et glacée, venue de la banquise, éclate à 35 nœuds (64km/h) sur les flotteurs du trimaran.
Un bon capitaine ne gueule pas. Via radio, les mots de Kersauson traduisent sans panique le drame qui se joue à bord de Geronimo : « À cette époque de l’année, dans ces mers, on n’est pas en Atlantique nord où il y du monde. Si on va au tas là, on est mort. »

Guerrier apache

Il fallait un guerrier pour venir à bout de cette épopée. Ramener les hommes(12)(12)L’équipage de Geronimo : Olivier de Kersauson (skipper), Yves Pouillaude et Didier Ragot (seconds), Pierre Corriveaud, Franck Ferey, Pascal Blouin, Xavier Douin, Antoire Deru, Armand Coursaudon, Philippe Laot, Xavier Briault (équipiers). à bon port. Geronimo est le premier maxi-trimaran de la nouvelle génération. Le prototype de près de 34 mètres est à la fois conçu pour glisser au portant, maintenir sa vitesse dans le petit temps et résister aux mers casse bateau. Le multicoque d’Olivier de Kersauson a déjà fait ses armes sur trois tentatives du Jules Verne, dont un tour du monde complet en 2003. Le 25 février 2004, il s’engage dans la plus âpre bataille de son existence.
Le record à effacer, celui de Bruno Peyron en 2002, est de 64 jours 8 heures 37 minutes 40 secondes.
À bord, onze marins se sont entrainés durant deux ans. Ils comptabilisent à eux tous 18 tours du monde.

Les signes ne sont pas favorables. Geronimo a pris un premier départ le 8 février, pour un retour prématuré à Brest le 20. Deux gennakers sur trois avaient rompu. Impossible de battre un record sans cette voile, hybride de spinnaker et de génois, principal « moteur » du bateau dans les alizés et les zones de calmes.
Voiles réparées, Geronimo franchit  à nouveau la ligne de départ dès le 25 février 2004, à 23 heures 17 minutes et 40 secondes (GMT).

TJV_COURSES_Geronimo04_apache

TJV_COURSES_Geronimo04_carteArchives Rivacom

Hasards

Quelques heures plus tard, Orange II, le catamaran de Bruno Peyron, s’élance pour battre son propre record. « Kersau » tord un peu le nez. Le multicoque de son rival est 20% plus grand, et naviguera probablement plus vite à conditions égales. « C’est toujours plus amusant d’avoir quelqu’un sur l’eau en même temps que vous, se résigne le skipper breton, on va se faire un joli tour du monde, on est content d’y aller.»
« On attendait ça depuis quelques années, ajoute Peyron, que ce duel puisse avoir lieu. C’est un hasard de la vie. On va régler nos comptes sur l’eau … »

Un autre challenger a largué les amarres en même temps que le guerrier Apache, début février : Cheyenne. Hasard encore ? C’est ainsi que le milliardaire amateur de sports extrêmes Steve Fossett a baptisé son catamaran géant (37,90 mètres). L’américain a refusé de verser les 30 000 euros nécessaires à l’inscription de sa tentative de record de vitesse autour du monde par les trois caps au titre du Trophée Jules Verne. Il court hors jeu(13)(13)Steve Fossett estimait alors que le montant des frais d’adhésion à l’association Tour du monde en 80 jours, nécessaires à l’inscription de sa tentative au titre du Trophée Jules Verne, était trop élevé et injustifié. L’association, ne bénéficiant d’aucune autre subvention pour son fonctionnement que la contribution de ses membres, n’a pas souhaité créer d’exception ou changer un règlement que tous les challengers du Trophée Jules Verne avaient accepté depuis sa fondation. mais sur le même parcours. Il attaque déjà son 20ème jour de mer, par 48° de latitude Sud.

24 heures de bonheur

Les 24 premières heures de navigation sont idéales : pointes à 29 nœuds pour Geronimo, qui creuse l’écart avec son concurrent supposé plus rapide.
Le régime de vents se dégrade dès le deuxième jour. L’anticyclone des Açores, positionné très à l’est, freine le bateau. Kersauson se console en envisageant la suite d’un parcours qu’il connaît bien : « J’ai hâte de rentrer dans les vrais systèmes des alizés pour voir comment on marche. »

Avant les alizés espérés, Geronimo doit affronter un pot au noir particulièrement étendu. Cette zone de vents instables environnant l’équateur grossit de jour en jour et barre l’Atlantique d’est en ouest. Rien d’amusant à l’horizon. D’autant qu’au sixième jour de navigation, on apprend l’abandon sur avarie des quinze équipiers d’Orange II. Le duel avec le détenteur du record se poursuit virtuellement, sans le piment d’une vraie course.

Détour

Archives Rivacom / Photos du bordDidier Ragot et Xavier Douin. Archives Rivacom

Geronimo franchit l’équateur le 4 mars, 7 jours, 22 heures et 23 minutes après son départ, exactement dans les temps d’Orange en 2002. Extirpé des calmes de la Zone de Convergence Intertropicale(14)(14)Zone de Convergence Intertropicale ou Pot au noir. où il est était englué, le maxi-trimaran retrouve une moyenne journalière dépassant les 20 nœuds. « On ne perd pas de temps mais il faudrait en gagner ! », analyse Olivier de Kersauson.

Nouvel obstacle dans le gymkhana de l’Atlantique : l’anticyclone de Sainte Hélène traîne très au sud et s’étire de l’Argentine à l’Afrique, vers laquelle il progresse à la manière d’une limace. Les équipiers de Geronimo doivent opérer un large contournement de cette zone de calmes par l’ouest et atteindre les 40èmes degrés de latitude sud pour enfin obliquer plein est, vers le cap de Bonne Espérance. Un écart de 50 degrés par rapport à la route idéale, heureusement compensé par de beaux surfs à plus de 25 nœuds et jusqu’à 608 milles parcourus en 24 heures.
Par 42° de latitude sud, au 17ème jour de mer, Geronimo zigzague dans un couloir étroit, entre anticyclone au nord et glaces au sud. La longitude du cap de Bonne Espérance est dépassée dans la nuit du 14 au 15 mars, avec une journée d’avance sur le record(15)(15)17 jours, 22 heures et 58 minutes de navigation entre Ouessant et le cap de Bonne Espérance, contre 18 jours 18 heures et 40 minutes réalisé par Orange en 2002..

Roulette russe

Sous des vents de noroît, Geronimo doit infléchir sa route vers les îles Edouard et Crozet, en route directe vers les Kerguelen. « J’aurais préféré gagner ce coin-là 7 à 8  degrés plus loin, regrette le skipper breton, lors de la vacation radio du 15 mars, mais enfin on va faire avec, on a un bon radar. J’espère que la brume va se lever un peu. » Dès son entrée dans l’océan Indien, à 18 nœuds de moyenne, l’équipage est plongé dans le brouillard. « C’est romantique la brume, mais passé cinq ou six heures ça commence à être chiant. » L’épaisse nue s’évapore enfin le 17 mars après trois jours de navigation aux instruments, un œil sur le radar signalant d’invisibles icebergs(16)(16)Le radar permet de détecter la masse des icebergs mais pas celle des glaçons qui s’en détachent. À cause de l’un de ces blocs de glace qui avait arraché le flotteur de son trimaran Charal, Olivier de Kersauson avait du abandonner sa première tentative de record autour du monde en 1993.. La température de l’air tombe en dessous de zéro. Vitesse, brume et froid réunis ont éreinté les hommes. « C’est tellement terrorisant quand on sait que la glace est à coté, qu’on à l’impression de jouer à la roulette russe, résume Kersauson, ce stress là devient très dur à supporter. »
Geronimo s’obstine. L’avance sur le record d’Orange atteint les 800 milles.

TJV_COURSES_Geronimo04_brumeArchives Rivacom

L’océan Indien, si redouté par le skipper breton, offre quelques heures de répit et un peu de glisse aux équipiers. Geronimo engrange les milles, fonçant sur l’Australie. Mais, pour rattraper un système météo plus avantageux, le trimaran veut prendre de vitesse le souffle qui le pousse depuis l’Afrique… Et tombe dans la pétole le 23 mars. Entre quarantième rugissants et cinquantième hurlants, il franchit la longitude du cap Leeuwin avec deux jours et 20 heures d’avance sur le détenteur du Trophée Jules Verne(17)(17)Ouessant-cap Leeuwin en 26 jours, 11 heures et 33 minutes contre 29 jours, 7 heures et 22 minutes pour Orange en 2002.… Par neuf petits nœuds de vent.

Survie

La dépression qu’il voulait doubler repêche le multicoque dès son entrée dans le Pacifique. La vitesse moyenne de Geronimo ne descend plus en dessous des 20 nœuds. L’équipage fatigué par trois jours de lutte dans les petits airs retrouve brutalement la vitesse et vent glacial. Kersauson se méfie : « On est entre pétole et tempête, avec le vent qui saute de 30 à 12 nœuds. On est entre deux dépressions et un cyclone tropical au-dessus. »
La tempête cueille le skipper et ses hommes par 53° Sud et 158 ° de longitude Est. Poursuivis par 50 nœuds de vent dans une mer lourde et cassante, les onze de Geronimo espèrent retrouver des conditions plus propices à la vitesse. Cap au nord-est.
Dans son message radio du 29 mars, Kersauson ne dissimule pas ses doutes quant au Trophée Jules Verne : « C’est pas des mers très hautes, il y a sept mètres de creux mais c’est une puissance incroyable. L’autre nuit on était en surf sous mât seul, à 27 nœuds, ça ressemble à un jeu de massacre. Ça n’a rien à voir avec de la compétition ce qu’on fait là, c’est de la survie athlétique. (..)C’est vachement dur. Je sais pas où ça va nous mener. Mais nous on n’est plus en course depuis quatre jours. Depuis quatre jours c’est de la navigation extrême… »(18)(18)Extrait de vacation radio. Transcriptions et récit jour après jour : www.fralo.info
Le 1er avril, Kersauson entrevoit une occasion de se remettre en selle : un flux d’ouest par 55° Sud. Le 2, pour délivrer son message quotidien, le skipper est allongé en ciré au fond du bateau : « Là, y a 58 nœuds de vent à l’anémomètre, on est sous trois ris et foc tempête. En huit tours du monde, j’ai jamais vu un sud pareil. D’ailleurs, si j’en avais vu un comme ça, j’y serais pas retourné ! »

Archives RivacomArchives Rivacom

À l’envers

Le 6 avril, au près serré par 59° Sud, Geronimo attend son heure devant le passage de Drake. Les conditions du franchissement du Horn sont celles d’un tour du monde à l’envers. 20 nœuds de vent basculent lentement de l’est vers le sud. L’équipage attend la dépression qui le jettera hors du Pacifique, dans l’Atlantique.
Le 7 avril Geronimo double enfin le cap mythique, à 15 heures 45, en 41 jours 16 heures et 27 minutes soit 10 heures de mieux que le détenteur du Trophée Jules Verne… Mais 48 heures de plus que le nouveau champion.
Cheyenne est arrivé à Ouessant le 5 avril, après en 58 jours, 9 heures, 32 minutes et 45 secondes de navigation. C’est officiel, s’il n’a pas raflé le Jules Verne(19)(19)Alors que Cheyenne remontait l’Atlantique, assuré d’une forte probabilité de battre le record du Trophée Jules Verne, l’équipe à terre de Steve Fossett a bien contacté l’association Tour du monde en 80 jours. Elle souhaitait, a posteriori, inscrire la tentative du skipper américain dans le cadre du Trophée et proposait pour cela de payer les frais d’inscription que Fossett avait jugés inopportuns à son départ de Brest. L’association déclina l’offre et refusa l’inscription. Le règlement du Trophée Jules Verne, très simple, exige en effet qu’un challenger s’inscrive au moins trois mois avant son départ envisagé. Fossett ne pouvait prétendre au titre alors même qu’il avait refusé de souscrire aux règles définissant les conditions de son obtention. Dans l’esprit de ses fondateurs et de ses détenteurs successifs, le Trophée Jules Verne devait rester l’objet d’une compétition âprement disputée et non pas une récompense remise après un tour du monde accompli., Steve Fossett détient le record absolu de vitesse autour du monde, en équipage et sans escale.

Au près sans solent

Route plein nord, à l’ouest des Malouines. Les équipiers de Kersauson sont impatients de rentrer à Brest et de quitter les mers inhospitalières de ce tour du monde. Après un mois de violence, les onze de Geronimo, sonnés, sont contraints de tirer des bords pour remonter l’Atlantique au plus court. Le foc solent, qui assure un minimum de vitesse dans les remontée au près peu ventées, rend l’âme pour la seconde fois.
Poursuivi par un anticyclone, au 49ème jour, sous trinquette et grand-voile haute, Geronimo accroche enfin de faibles alizés. Olivier de Kersauson maintient son avance sur la performance de Bruno Peyron mais, à moins d’un miracle météo, il sait que Steve Fossett gardera son record absolu.

Hagards

Retour du vent au jour 52. Quelques heures de glisse à 20 nœuds de moyenne dans l’alizé rappellent à l’équipage à quel point, sur ce tour, les instants de grâce sont rares… et trop courts.
Geronimo est bientôt ralentit à l’entrée d’un pot au noir très large et mobile.
L’équateur est franchit le 20 avril, après 54 jours 4 heures et 49 minutes de mer : un peu moins d’une journée de retard sur Orange en 2002(20)(20)Ouessant-équateur (retour) en 53 jours 4 heures et 49 minutes..
« Ils ont des regards vides, je ne sais pas si c’est de la fatigue, de la tristesse ou plutôt de la lassitude », confie Kersauson le 21 avril, alors que son équipage est parvenu à relancer leur trimaran dans les alizés de l’hémisphère nord.
Le retard sur le détenteur du record est rattrapé dès le lendemain mais le bateau s’épuise. Le bras de liaison avant gauche du trimaran souffre d’un partiel délaminage, avarie impossible à réparer en mer.

Délivrance

La route du retour n’offre aucune facilité aux hommes de Kersauson. Pour espérer remporter le Trophée Jules Verne, ils doivent traverser un anticyclone, poursuivre au près, prendre une dépression de vitesse, contourner un second anticyclone et couper la ligne d’arrivée du côté britannique après un large détour par le sud de l’Irlande. Du jamais vu, avec un solent et un bras de liaison en lambeaux.

Geronimo franchit la ligne d’arrivée après 63 jours de mer 13 heures et 59 minutes et 46 secondes à 15h17, heure française. Le record est battu de peu : une demi journée.
Le premier hommage du nouveau détenteur du Trophée Jules Verne va à sa monture. « Quand on voit les coups qu’on a pris, le bateau est bien, il nous rend l’amour qu’on lui porte, il ne nous a pas trahis, il a du talent, je ne m’explique pas comment il a tenu ! Une fois la ligne franchie, j’ai vu les hommes l’embrasser. Plus jamais nous ne partirons quand l’hiver tombe dans le Pacifique. Et je suis ferme. »

Geronimo ne repartira pas sur le parcours du Jules Verne. Ce 29 avril 2004, le vicomte de Kersauson, toujours en verve, signait sa neuvième et dernière tentative(21)(21)Entre 1993 et 2004, seuls cinq records ont été établis par trois navigateurs différents sur un total de 18 tentatives. au titre du Trophée : « Enfin, c’est fait, on a la sensation d’un mec qui a été suspendu par les couilles pendant un mois et puis qu’on vient de décrocher. »

TJV_COURSES_Geronimo04_arriveeArchives Rivacom

Bruno Peyron / Orange II (2ème)

Les tentatives de record, à l’assaut du Trophée Jules Verne, sont autant d’aventures océaniques, qui méritent d’être racontées ici.

Graves avaries ou retards trop importants ont souvent stoppé des capitaines courageux dans leur élan. D’autres skippers sont parvenus à boucler leur tour… Seulement pas assez vite pour battre le record alors établi.
 
Ces performances, histoires d’hommes, de femmes et de bateaux, seront retranscrites dans ces pages.
 
À bientôt !

Bruno Peyron / Orange II (1ère)

Les tentatives de record, à l’assaut du Trophée Jules Verne, sont autant d’aventures océaniques, qui méritent d’être racontées ici.

 
Graves avaries ou retards trop importants ont souvent stoppé des capitaines courageux dans leur élan. D’autres skippers sont parvenus à boucler leur tour… Seulement pas assez vite pour battre le record alors établi.
 
Ces performances, histoires d’hommes, de femmes et de bateaux, seront retranscrites dans ces pages.
 
À bientôt !

Olivier de Kersauson / Geronimo

Les tentatives de record, à l’assaut du Trophée Jules Verne, sont autant d’aventures océaniques, qui méritent d’être racontées ici.

 
Graves avaries ou retards trop importants ont souvent stoppé des capitaines courageux dans leur élan. D’autres skippers sont parvenus à boucler leur tour… Seulement pas assez vite pour battre le record alors établi.
 
Ces performances, histoires d’hommes, de femmes et de bateaux, seront retranscrites dans ces pages.
 
À bientôt !

Olivier de Kersauson / Geronimo

Les tentatives de record, à l’assaut du Trophée Jules Verne, sont autant d’aventures océaniques, qui méritent d’être racontées ici.

 
Graves avaries ou retards trop importants ont souvent stoppé des capitaines courageux dans leur élan. D’autres skippers sont parvenus à boucler leur tour… Seulement pas assez vite pour battre le record alors établi.
 
Ces performances, histoires d’hommes, de femmes et de bateaux, seront retranscrites dans ces pages.
 
À bientôt !