Du Trophée Jules Verne au K2, l’art du routage au sommet

Et si on regardait le Trophée Jules Verne au regard du sommet qu’il représente dans le monde de la course au large ? Sur son parcours planétaire, avec le chronomètre pour implacable adversaire, ce record compte sans nul doute parmi les reliefs les plus durs à gravir à la voile. Le challenge entrepris par les hommes du Gitana Team est immense ; à la hauteur de cette circumnavigation menée au pas de charge pour enrouler la planète en moins de 40 jours et 23 heures. En haute mer comme en haute montagne, les défis qui repoussent les limites de la performance humaine ont ceci en commun d’être particulièrement tributaires de la météo. Leur réussite est intimement liée à cette composante et au bon vouloir de la « Nature » qui a toujours le dernier mot. Pas étonnant donc que ces deux disciplines, quand elles s’expriment sous le signe de l’exploit sur la crête des vagues ou sur le toit du monde, ont la spécificité de donner lieu à une activité de routage météo à distance. Un art, une science à part entière où prime l’expertise, dont Marcel van Triest qui accompagne le Maxi Edmond de Rothschild dans sa navigation autour du globe, et Yan Giezendanner, ce prévisionniste qui a routé vendredi une ascension historique à la conquête du K2 en hiver, nous livrent quelques secrets…

 

 

Sorcier des mers Vs gourou des cimes 

Dans sa conquête du Trophée Jules Verne, c’est en lien étroit et permanent avec Marcel van Triest, que l’équipage du Maxi Edmond de Rothschild trace aujourd’hui son sillage en direction des mers australes qu’il devrait rejoindre dans quelques jours. Ce Néerlandais polyglotte est le 7e Homme de l’équipe aux cinq flèches. Il est cet équipier à part, qui a fait des tours du monde et des navigations sous les latitudes hostiles du Grand Sud sa grande spécialité et sa marque de fabrique. Depuis son QG méditerranéen, il est embarqué par procuration dans la tentative menée par les six membres d’équipage du dernier-né des Gitana. Dans cet objectif, il doit trouver la voie magique, « cette route optimale, non pas forcément la plus courte, mais la plus rapide, » qui donne toutes ses chances au géant de 32 mètres de mener une course à succès. À ce niveau là, la moindre heure de navigation compte sur ce parcours de près de 22 000 milles nautiques (40 744 km). C’est dire le niveau d’exigence du pari engagé et de l’importance revêtue par la lecture de la météo océanique ; une spécialité qui reste l’apanage de quelques rares experts dans l’art de déchiffrer les cartes et les modèles de toutes les mers du monde qui n’en forment qu’une.

 

« Le routeur, c’est un peu l’homme des cavernes reclus, totalement confiné, qui vit relié à ses ordinateurs, qui reste à l’écoute du bateau 24 heures sur 24, sept jours sur sept. En période de routage, je ne dors donc jamais plus d’une heure d’affilée. J’ai beaucoup d’alarmes autour de moi que je règle en fonction des performances attendues dans les conditions qu’il rencontre. Si l’équipage veut me réveiller, il peut aussi freiner d’un coup le bateau… Ça marche très bien ! » explique Marcel van Triest qui vit et travaille aujourd’hui au tempo du Maxi Edmond de Rothschild, dont il suit la route à la trace, à l’écoute de la progression affichée par les données qu’il reçoit en continu et temps réel. « Deux fois par jour, matin et soir, j’envoie à bord une synthèse, un schéma des grandes lignes pour une approche globale que je construis autour d’une trentaine de modèles pour les huit à dix jours qui viennent. L’un des enjeux au-delà de la sécurité, c’est d’éviter de se retrouver dans un cul-de-sac, dans une situation où il n’y a pas de sortie. Il faut toujours que j’ai un coup, ou plutôt un océan d’avance, » précise ce spécialiste du Trophée Jules Verne, routeur des deux derniers équipages ayant établi un temps de référence faisant date sur le parcours planétaire, celui de Loïck Peyron en 2012 et celui de Francis Joyon établi en janvier 2017.

 

À la conquête d’un sommet historique de l’alpinisme   

En altitude, Yan Giezendanner, ce prévisionniste de 66 ans qui affiche 43 ans de bons et loyaux services chez Météo France, a toujours dévolu ses talents à l’univers de la montagne. Depuis son camp de base à Chamonix, il travaille aussi les yeux rivés sur ses écrans d’ordinateurs qui s’éteignent rarement. Mais son esprit, lui, est tendu vers les cimes les plus élevées de la planète qu’il gravit par routages interposés. De la chaîne de l’Himalaya, au McKinley en Alaska, en passant par l’Antarctique et la Patagonie… Celui que les alpinistes chevronnés appellent le « troisième de cordée », affiche un palmarès long comme un jour sans vent dans le Pot-au-Noir.
Avec au compteur une vingtaine d’Everest et une kyrielle de sommets dont il connait toutes les voies et les caractéristiques, Yan Giezendanner est aujourd’hui le seul français à avoir fait les « quatorze 8 000 mètres ». Ce météorologue hors pair a permis aux meilleurs alpinistes d’y accéder. « Ces 8 000, je les connais. Je sais par où il faut passer, quelles sont les constantes climatiques et pourquoi elles ont lieu… Je fais des différences entre l’Everest, le Makalu, le McKinley, le Fitz Roy, et bien sûr le K2, le plus nord des 8 000 m », détaille ce fin observateur. Pour en témoigner, la voie prestigieuse qu’il vient de signer à travers un routage conduisant une expédition népalaise à la conquête du deuxième plus haut sommet du monde (8 611 mètres), le redoutable K2, qui n’avait encore jamais été conquis en hiver, ne peut mieux tomber. À pic pour illustrer un palmarès météorologique qui s’étoffe au fil des années dédiées à la haute montagne.

 

Dans le massif Karakoram au Pakistan, cette montagne particulièrement hostile a résisté pendant plus de 15 ans à tous les assauts entrepris en saison hivernale. Pour l’atteindre, il faut longer un glacier colossal et s’approcher de la frontière chinoise. Là, entre les deux pays, la montagne s’élève, pyramidale, vertigineuse, dans le ciel glacial, où les températures flirtent avec les -50° et peuvent atteindre les -60° sur les parties sommitales. « C’est un challenge extraordinaire que viennent de relever ces Népalais. Une grande première mondiale sur le dernier grand défi à relever en Himalaya. Cette ascension comporte énormément de risques à cause du froid, du mal aigu des montagnes, des chutes, des avalanches, des erreurs d’itinéraires… » justifie celui qui vient une nouvelle fois de faire la preuve de la pertinence de ses prévisions, au terme d’une ascension officiellement accomplie ce samedi 16 janvier. « Cela faisait plusieurs jours que j’observais une fenêtre de montée pour ces montagnards qui s’étaient bien acclimatés ces dernières semaines. J’ai vu le beau temps arriver et j’ai pu leur donner le top départ en leur indiquant le bon moment pour partir dans cet ultime parcours pour rejoindre ce sommet dangereux. C’était le dernier défi à relever en Himalaya, c’est une réussite qui fait forcément très plaisir.»

 

Au bon vouloir du Jet Stream   

« Mon travail est très similaire à celui qui peut être fait par un routeur d’expédition maritime, à cette différence près qu’en voile la veille météo est constante, le suivi permanent, sans interruption ce qui rend les choses un peu plus complexes », complète ce météorologue des plus hautes cimes qui doit néanmoins éviter son lot d’écueils jalonnant le terrain dans cet univers hostile : les barrières de serac ou les crevasses dont les traversées peuvent retarder énormément, en ascension comme en descente.
« J’ai commencé le routage des alpinistes dans les années 80, à l’époque où ils enchaînaient les grandes voies comme le Cervin, les Grandes Jorasses… En 1995, avec l’arrivée d’Internet, j’ai pu envoyer des informations à des montagnards qui entreprenaient des ascensions dans l’Himalaya, mon activité de routage à distance s’est vraiment développée à ce moment là », précise celui qui passe son temps aujourd’hui à épier les mouvements et les évolutions du Jet Stream. « Sur l’Himalaya qui se situe à 35° de latitude nord, je me bats en permanence avec ce puissant courant de vent qui peut souffler en altitude de 50 à 250 km/h (de 27 à 135 nœuds). Le Jet fait le tour de la Terre. Je suis ce Jet qui ondule, qui fait des virages. Au niveau de la cassure de ces virages, il n’y a plus de vent ; et c’est là qu’une bonne météo s’est présentée pour rejoindre les 8 611 mètres du K2 », raconte ce passionné de haute montagne qui se réjouit des progrès réalisés en matière d’équipement, dans l’apport en oxygène ou encore dans la précision des prévisions météorologiques, gage d’une sécurité renforcée dans la pratique de ce sport à hauts risques.

 

Dans ses échanges avec les alpinistes dont il suit les cordées, c envoie, par email, et sur téléphone satellite ses bulletins météo quotidiens, indiquant le temps qu’il va faire et les différents épisodes attendus (chutes de neige, passages de brouillard…) Mais, à la différence de Marcel van Triest qui privilégie les communications écrites par messagerie qui peuvent être relues tout en en évitant des pertes d’informations dans le vacarme ambiant d’un géant en cavale à bride abattue, le routeur de haute montagne passe, lui, des coups de fil aux chefs d’expéditions qui évoluent à des altitudes où les liaisons satellites sont très bonnes. « Je garde toujours des échanges directs par la voix. Cela permet de bien être d’accord sur la stratégie à suivre tout au long de la période d’acclimatation, comme lors de l’ascension finale au sommet. Lorsque je parle directement aux alpinistes, cela me permet également d’apprécier leur état de forme.»

 

À la recherche d’une voie royale pour le vol en haute mer   

Sur les océans du globe, et pour dessiner la trajectoire du Maxi Edmond de Rothschild, Marcel van Triest suit et observe avec une vigilance de tous les instants d’autres systèmes qui fonctionnent avec leurs propres mécanismes. Après la Zone de Convergence Intertropicale qui s’est révélée à la hauteur de sa réputation ¬- imprévisible et très difficile à franchir -, le routeur du Gitana Team focalise son attention sur le train de dépressions australes. C’est à l’avant d’un de ces systèmes de basses pressions qu’il aimerait faufiler le maxi-trimaran volant. Ce dernier a retrouvé des vents plus favorables dans ses voiles pour accroître son avance à mesure qu’il dévale les latitudes en direction de la célèbre route des trois caps ceinturant tout le continent antarctique. Dans cet environnement qui peut à tout moment servir des conditions extrêmes sollicitant les hommes et leur bateau, il cherche cette voie royale. Celle qui permettra au géant de 32 mètres d’esquiver les coups de boutoir du Grand méchant Sud et d’éviter autant que possible les zones de turbulences sur une houle mauvaise qui rognerait sa capacité à tenir des vitesses élevées. « L’idéal serait de trouver un bon compromis entre une route pas trop longue, donc assez Sud, et une trajectoire qui évite la grosse mer qu’on rencontre dans les 50e. La situation de rêve, qui permet de faire des milliers de milles à la meilleure vitesse constante, existe peut-être au niveau des 35e. Mais les configurations idéales ont cette particularité d’être rares, et c’est en permettant de s’en approcher que le routage météo joue un rôle crucial dans cette chasse au record », ajoute-t-il.

 

En approche du grand désert liquide qui fait la légende du record du tour du monde à la voile, Marcel van Triest renforce aussi sa vigilance dans l’observation des glaces dont il compte parmi les plus fins experts. « Depuis dix ans, on a connu des grands progrès dans la prise d’images depuis l’espace. À travers les modèles CLS (Collecte Localisation Satellites), on a une bien meilleure visualisation de la présence d’icebergs. Cette année, l’été austral se révèle plutôt « calme », la situation est assez claire, même si une concentration importante apparaît dans l’Atlantique Sud, dans le nord de la Géorgie du Sud. Il ne semble pas y avoir de glaces dans le Pacifique, comme lors du record de Banque Populaire V, où il y avait eu un énorme iceberg au milieu de la route », complète le routeur du Gitana Team qui travaille aujourd’hui pour battre un record dont il compte parmi les co-détenteurs. « Depuis dix ans sur le Trophée Jules Verne, le rôle de la météo s’est beaucoup renforcé. Elle occupe une place centrale dans la réussite d’une tentative », poursuit ce météorologue bien placé pour mesurer la difficulté de l’exercice qui consiste à enrouler la planète mer par une voie express qui a l’envergure d’une face Nord.

 

« On travaille sur la même atmosphère, mais dans l’univers de la voile c’est sans doute plus compliqué avec de nombreux paramètres de vents à intégrer, comme la force ou l’orientation, ou encore l’état de la mer qui revêt une importance capitale. Mais en milieu extrême, que ce soit sur terre ou en mer, le routage météo constitue une aide stratégique de premier ordre dans la quête de performance. Sur les océans, comme sur les plus hauts sommets, les records sont faits pour être battus », ajoute de son côté Yan Giezendanner qu’on a forcément envie, et toutes les raisons, de croire…

De Brest à Rio de Janeiro

À bord du Maxi Edmond de Rothschild, l’ambiance fut particulière hier ; les très mauvaises et tristes nouvelles venant de la terre contrastant totalement avec l’environnement immédiat du géant de 32 mètres. En effet, depuis 36 heures, l’équipage de Franck Cammas et Charles Caudrelier profite de conditions idéales, tant pour les hommes que pour la machine. Les six marins glissent sur un long bâbord amure au large des côtes brésiliennes et devraient doubler la latitude du Cabo Frio et de Rio de Janeiro en fin de journée. Car malgré le faiblissement du flux de sud-est, aux alentours des 12 nœuds, depuis le milieu de nuit, ils progressent vers le Sud à plus ou moins 20 nœuds de vitesse moyenne. La journée d’hier fut également très intéressante sur le plan purement comptable car elle a permis aux marins du Gitana Team d’engranger plus de 280 milles d’avance sur le tableau de marche de son adversaire virtuel.

 

 

Première semaine de record 

Parti de Ouessant le 10 janvier dernier à 2h33, l’équipage du Maxi Edmond de Rothschild a enregistré sa première semaine de tentative de record sur le Trophée Jules Verne la nuit dernière au large du Brésil. Sept jours durant lesquels le dernier-né des Gitana a parcouru 4 700 milles sur le fond, c’est-à-dire réellement sur l’eau, à la vitesse moyenne de 28 nœuds. Quand on sait que ce dernier chiffre englobe les 24 heures de quasi arrêt dans le Pot-au-Noir, on mesure que la vie défile sur Gitana 17.  Ce long bord bâbord amure, cap au Sud, démarré depuis la sortie de la Zone de Convergence Intertropicale, marque clairement une transition entre deux temps forts de la descente de l’Atlantique. Des heures plus « paisibles », mais tout aussi rapides, que l’équipage apprécient à leur juste valeur : « Tout va bien à bord ! C’est assez calme ici. Les conditions nous permettent non seulement de nous reposer, car les températures ne sont ni trop chaudes ni trop fraîches, et que la combinaison d’une mer ordonnée et d’un vent médium nous permet de faire du gain sur la route. On a dû faire un plus de 700 milles en une journée hier, avec un vent d’une quinzaine de nœuds c’est quand même hyper satisfaisant » confiait Yann Riou au lever du jour.

 

Rendez-vous confirmé 

En s’élançant sur le record du tour du monde à la voile en équipage il y a une semaine, Franck Cammas, Charles Caudrelier et leur routeur météo Marcel van Triest visaient un timing précis au Sud du Brésil. L’idée étant de se présenter au large de l’Amérique Latine tandis qu’un front en partance pour le Grand Sud et les mers australes se détacherait du continent. La connexion avec ce train dépressionnaire est bien engagée et devrait se faire en début de semaine. Dès lors, et en quelques heures, la vie du bord changera radicalement tant la progression vers les latitudes sud va être rapide. Les polaires, gants et bonnets feront leur grand retour sur le pont du maxi-trimaran volant bleu tandis que le sifflement permanent des appendices fera grimper les décibels. C’est pourquoi les journées de transition que vivent actuellement les six membres d’équipage sont précieuses pour se reposer et recharger les batteries.

Décès du baron Benjamin de Rothschild, fondateur et armateur du Gitana Team

C’est avec une grande émotion et une profonde tristesse que le Gitana Team annonce le décès de Benjamin de Rothschild à la suite d’une crise cardiaque intervenue à son domicile de Pregny (Suisse), dans l’après-midi du 15 janvier 2021.



Les premières pensées des marins et des membres du Gitana vont à son épouse Ariane de Rothschild et à ses enfants, ainsi qu’à l’ensemble de sa famille et de ses proches à qui ils adressent leurs condoléances les plus sincères

 

Né le 30 juillet 1963, Benjamin de Rothschild était le fils d’Edmond et de Nadine de Rothschild. À la tête du groupe créé par son père depuis 1997, il l’a développé de manière exceptionnelle pendant toutes ces années.
Entrepreneur visionnaire, passionné de finance, de voile et d’automobile, amoureux du vin, Benjamin de Rothschild était aussi un philanthrope engagé, notamment en développant l’Innovation au sein de l’Hôpital Fondation Adolphe de Rothschild. Personnalité hors du commun, il n’a eu de cesse de transformer et moderniser son héritage, dans le respect des valeurs de la famille.

 

C’est dans cet esprit pionnier et pour poursuivre la saga Gitana initiée par son arrière-grand-tante Julie de Rothschild et son père, qu’en 2000 avec son épouse Ariane de Rothschild, il crée le Gitana Team. Avec cette écurie de course au large de haute technologie dédiée à la performance et à l’esprit d’équipe, en quelques années, il mue une passion familiale plus que centenaire en une école d’excellence ; victoire sur la Route du Rhum, la Transat Anglaise, la Rolex Fastnet Race, la Transat Jacques Vabre, ou encore lors des grands prix Orma ou les transatlantiques où il embarquait avec ses équipes, tous ces moments resteront de mémorables instants de partage. Grâce à son engagement, Benjamin de Rothschild a permis à toute une génération de marins de s’exprimer sur les plus beaux navires du moment comme c’est actuellement le cas pour l’équipage du Maxi Edmond de Rothschild en pleine tentative de record du tour du monde à la voile, le Trophée Jules Verne.

Chassé-croisé brésilien

En franchissant l’équateur hier à 15h48’32 », après 5 jours 13 heures 14 minutes et 46 secondes de mer, l’équipage du Maxi Edmond de Rothschild a rejoint l’hémisphère Sud. Depuis, à bord du maxi-trimaran volant aux cinq flèches, les six équipiers ont pu retrouver un rythme plus océanique. Propulsés par un alizé de sud-est modéré, qui souffle aux alentours des 15 nœuds, ils glissent au large des côtes nord-brésiliennes et doublaient ce matin la latitude de Recife. Après avoir perdu toute leur avance dans un Pot-au-Noir bien coriace et compté près de 100 milles de retard hier sur leur adversaire virtuel, les hommes du Gitana Team ont repris la main et possèdent à nouveau près de 170 milles d’avance sur Idec au pointage de 9h.

 

 

Sous le vent 

La nuit dernière, les routes de la tête de flotte du Vendée Globe, qui entre dans la dernière ligne droite de son tour du monde en solitaire après 68 jours de mer, et du Maxi Edmond de Rothschild se sont croisées au large du Brésil. Mais ce chassé-croisé, trop lointain, n’a malheureusement pas donné lieu à des contacts visuels et d’éventuelles images pourtant très attendues. Les Imocas remontent logiquement plus à la côte tandis que le géant de 32 mètres glisse actuellement plus au large, à environ 200 milles des rivages. Mais il n’est pas dit que dans les prochaines heures d’autres occasions ne se présentent. Dans ce cas, faisons confiance à Yann Riou, notre équipier média du bord, pour ne pas manquer ce moment inédit.

 

Le long du Brésil 

Comme prévu, depuis leur passage de l’équateur hier après-midi, Franck Cammas, Charles Caudrelier et leurs quatre équipiers ont retrouvé des conditions de navigation plus clémentes mais surtout propices au vol et à la vitesse. Les six marins ont bien laissé dans le sillage du maxi-trimaran bleu les aléas du Pot-au-Noir et le coup d’arrêt brutal qu’il a provoqué durant 24 heures dans la chasse au record des hommes du Gitana Team. À la faveur d’un alizé de sud-est modéré, qu’il exploite parfaitement, l’équipage du Maxi Edmond de Rothschild glisse désormais le long des côtes brésiliennes. Le vent adonnant, le géant de 32 mètres a pu légèrement incurver sa route et plonge plein Sud en direction du Cabo Frio, à quelques encablures de Rio de Janeiro, qu’il devrait atteindre demain en fin de journée.

Navigation dans l’hémisphère Sud

Parti de Ouessant dimanche 10 janvier à 2h33, à l’assaut du Trophée Jules Verne, l’équipage du Maxi Edmond de Rothschild a franchi l’équateur ce vendredi 15 janvier à 15h48’32 », après 5 jours 13 heures 14 minutes et 46 secondes de mer. Ce premier chrono loin du record absolu sur ce tronçon, détenu depuis 2019 par Spindrift Racing en 4 jours 19 heures 57 minutes, permet néanmoins aux marins du Gitana Team de basculer dans l’hémisphère Sud avec près de six heures d’avance sur le temps d’Idec Sport.

 

 

Un Pot bien collant ! 

Mais bien plus que la célébration de ce passage symbolique entre les deux hémisphères, Franck Cammas, Charles Caudrelier et leurs quatre équipiers (David Boileau, Morgan Lagravière, Erwan Israël et Yann Riou) sont surtout heureux d’avoir retrouvé des conditions de navigation dignes de ce nom. En effet, le Pot-au-Noir a été coriace avec les hommes du maxi-trimaran volant. Totalement privé de ses ailes, en panne sèche de vent, le géant de 32 mètres a peiné à s’extirper des griffes de la fameuse Zone de Convergence Intertropicale. Durant toute la journée d’hier et la nuit qui suivit, l’équipage a dû prendre son mal en patience et multiplier les manœuvres sous la casquette brûlante pour exploiter la moindre risée et le moindre nuage.  En témoignent les statistiques de navigation de ces dernières 24 heures : un peu moins de 260 milles parcourus à la vitesse de 10,8 nœuds et seulement 6 nœuds sur la route… Interminable pour des navigateurs partis à la conquête du record du tour du monde à la voile et qui n’aiment rien de moins que les hautes vitesses.

 

Mais à bord, c’est avec philosophie que l’équipage a traversé cette zone, comme le confiait Charles Caudrelier : « Ça n’a pas été si pénible dans le sens où nous avons toujours réussi à avancer même si parfois c’était extrêmement lent… mais ça nous a permis de nous reposer, car même si notre début de course n’a pas été très violent nous allions vite donc ce n’est jamais évident de bien dormir. Là, nous avons bien rechargé les batteries, nous sommes amarinés et on est bien entré dans le jeu. Ces dernières heures plus calmes nous ont également permis de bien vérifier le bateau et c’est bien car nous n’aurons plus beaucoup d’opportunités de le faire par la suite. Nous attaquons l’hémisphère Sud avec un bateau en super état et ça c’est la meilleure nouvelle ! C’est certain que l’on espérait un meilleur temps à l’équateur, c’est toujours sympa de battre un record, mais avec le Pot-au-Noir on ne sait jamais comment ça se passe. Il n’était pas très large mais il a été très douloureux. »

 

 

Bienvenue dans l’Atlantique Sud 
Franck Cammas, Charles Caudrelier et leurs quatre équipiers ont pris le départ de ce Trophée Jules Verne avec un schéma météo en tête. Dans le choix de leur fenêtre et de leur heure de franchissement de ligne à Ouessant, la transition dans l’Atlantique Sud a en effet beaucoup compté. Le jeu consistant à se présenter au large du Brésil quand un front suffisamment puissant, en partance pour les mers australes, se décroche du continent sud-américain. Et pour bénéficier des meilleures conditions de glisse, garantes de hautes vitesses, il faut généralement se placer à l’avant de ce train dépressionnaire. C’est tout cet enchaînement que visent désormais l’équipage du Maxi Edmond de Rothschild et leur routeur météo, Marcel van Triest, pour espérer s’offrir un beau temps de passage au cap des Aiguilles, en Afrique du Sud : « Le temps perdu dans le Pot-au-Noir n’est pas dramatique car nous arrivons dans le Sud au bon moment, les modèles le confirment, pour attraper le bon système météo. Maintenant le problème que ça peut poser est que nous n’avons pas beaucoup de marge. Pendant les quatre prochains jours, il va falloir que nous soyons rapides et précis dans notre trajectoire pour ne pas louper le train des dépressions dans le Sud de Rio, » soulignait Charles Caudrelier.

 

Précision de timing

L’avance et le retard qui apparaissent sur notre cartographie sont calculés à chaque classement par rapport à la distance au but. Le Maxi Edmond de Rothschild franchissant l’équateur plus à l’Ouest qu’Idec Sport et donc plus loin de la route directe (orthodromie), comptabilisait 16,6 milles du retard sur son adversaire virtuel. Mais, en termes de temps pur entre Ouessant et la ligne de démarcation des deux hémisphères, le maxi-trimaran volant aux cinq flèches a été plus véloce que celui de Francis Joyon et ses hommes. Cinq jours 13 heures 14 minutes et 46 secondes pour Gitana 17 contre 5 jours 18 heures et 57 minutes pour Idec, soit 5 heures et 44 minutes de mieux.

Dans l’enfer du Pot

Il y a 24 heures, les hommes du Maxi Edmond de Rothschild basculaient brutalement d’une navigation au portant à hautes vitesses à une lente progression au près et sans vent. Depuis, les six marins ont tout tenté pour s’extraire des griffes de ce Pot-au-Noir bien collant, multipliant les manœuvres et les réglages de toute leur panoplie de voiles. Mais rien n’y fait ! Le vent est aux abonnés absents et à l’exception de quelques nuages coopératifs qui leur permettent des sauts de puces vers la sortie, cette traversée de la Zone de Convergence Intertropicale vire au chemin de croix. Heureusement, les marins du bord n’en sont pas à leur coup d’essai et relativisent au vu des milliers de milles qui se présentent devant les étraves du maxi-trimaran volant. La journée blanche a coûté cher d’un point de vue comptable. Crédités de 140 milles d’avance hier matin, les marins du Gitana Team démarrent leur sixième jour de tentative avec un retard de 86 milles à 8h.

 

 

À chaque Pot-au-Noir son scénario 

C’est le principe, en franchissant les portes de cette zone de convergence entre les deux hémisphères, on entre dans l’imprévisible. Des vents violents portés par des grains actifs à des calmes à perte de vue, tout est possible et rien n’est écrit d’avance ici. D’une course à l’autre, le Pot-au-Noir réserve un sort bien différent aux marins qui le traversent. C’est pourquoi il est tant redouté par les navigateurs. Hier matin, en y basculant brutalement aux alentours des 9h, Franck Cammas, Charles Caudrelier et leurs équipiers ne s’imaginaient pas y passer plus de 24 heures impuissants face au manque de vent.

 

À bord, malgré la tension liée à ce manque de vitesse et au chrono qui file, les quarts ont tâché de continuer leur routine de rotation pour garder le rythme. Un exercice pas toujours évident entre les  nombreuses manœuvres, qui nécessitent l’ensemble de l’équipage sur le pont, et la chaleur qui s’est abattue sous la casquette et dans la coque centrale du Maxi Edmond de Rothschild.

 

Se projeter vers la suite du tour du monde et avoir en tête les points positifs est sans nul doute la meilleure manière de débuter ce 6e jour de tentative de record sur le Trophée Jules Verne. L’équateur, encore distant de près de 150 milles en route directe, devrait être franchi dans la journée. Démarrera alors une toute autre navigation dans les alizés de sud-est en route vers les mers du Sud.

Coup de frein à l’approche de l’équateur

En ce cinquième jour de tentative du Gitana Team sur le Trophée Jules Verne, les milles acquis sur le détenteur du record, durant la descente de l’Atlantique Nord, ont fondu comme neige au soleil. De 140 milles d’avance ce matin, le compteur est passé dans le rouge en fin d’après-midi. Et pour cause, depuis la fin de nuit dernière, les hommes du Maxi Edmond de Rothschild sont dans le pot-au-noir et c’est la version petit temps et progression lente qui leur est réservée. Face à ces aléas météo, que l’on sait totalement imprévisibles dans cette Zone de Convergence Intertropicale, une seule option: la patience. À bord du dernier-né des Gitana, ces heures plus calmes sont mises à profit pour faire le tour du bateau et recharger les batteries malgré la chaleur écrasante qui s’est invitée à l’intérieur du géant aux cinq flèches.

 

 

« Un gros grain et rideau ! »

En fin de nuit dernière, l’entrée dans le pot-au-noir a été brutale pour les six marins du Maxi Edmond de Rothschild. Morgan Lagravière, qui était de quart lors de cette transition express entre les alizés et la zone de convergence, décrivait la scène : « C’était juste au lever du jour, la pénombre était en train de s’estomper petit à petit. On a commencé à voir les premiers grains apparaître au radar, on ne s’est qu’à moitié méfié et puis dès qu’on est arrivé sous l’influence du grain, le vent est monté, il a refusé fort et assez vite il a fallu se précipiter aux écoutes pour éviter que le bateau ne gîte trop ! Rapidement ça a été le branle-bas de combat, on a dû rouler la voile d’avant, le grand foc, pour pouvoir passer à une voile plus adaptée pour naviguer au près. Tout est allé vraiment vite, on n’a pas eu le temps de se poser de questions, et quelques minutes après on a tous pris une bonne douche en profitant de la fin du grain ! »

 

Une sortie dans la soirée ou la nuit prochaine

Depuis ce grain, le vent est aux abonnés absents sur le plan d’eau. Et c’est le cas à des milles à la ronde. Par conséquent, l’équipe du maxi-trimaran volant bleu n’a pas d’autre choix que de prendre son mal en patience et de s’appliquer à exploiter la moindre risée qui souffle dans les voiles pour s’extraire des griffes du pot-au-noir.

 

« Nous avons un temps très calme, ciel dégagé, des petits cumulus, ça ressemble à l’été, pas de couleurs de pot-au-noir, c’est-à-dire pas de grains noirs pour l’instant, la seule différence c’est qu’il n’y a pas de vent par rapport à d’habitude. On a encore 60/70 milles à faire dans du petit temps avant de retrouver du vent dans l’hémisphère sud, donc c’est toujours très long, on aimerait chopper le vent qui est devant nous, car plus on gagne des milles maintenant, plus ils vont se multiplier après, ça va faire un effet accordéon. Là on est au milieu et c’est plutôt du temps très très calme, on va sortir toute la toile possible pour s’en extraire », confiait Franck Cammas cet après-midi.

 

Cette journée du 14 janvier ne restera pas dans les annales de cette tentative, mais à bord, les six hommes d’équipage savent relativiser et surtout se projeter sur la suite du programme dans l’Atlantique Sud, qui s’annonce toujours très intéressante. Ils mangent aujourd’hui leur pain noir mais si l’on se penche plus en détails sur la trace d’Idec Sport, l’actuel détenteur, c’est demain que leur adversaire virtuel connaîtra un coup d’arrêt.

Pot-au-Noir au menu du jour

Depuis son passage au large du Cap-Vert hier dans la matinée, le Maxi Edmond de Rothschild glissait à vive allure dans l’alizé de l’hémisphère Nord, en route directe vers l’équateur. Mais depuis quelques heures, les six marins du bord connaissent un changement de régime. Par 6° Nord, la zone de convergence Intertropicale se présente en effet devant les étraves du géant de 32 mètres. Avec elle, son lot d’aléas météo bien connu et toujours redouté par les marins qui la traversent. Après quatre jours de mer sur ce Trophée Jules Verne, Franck Cammas, Charles Caudrelier et leurs quatre équipiers attaquent le pot-au-noir avec 143 milles d’avance sur le record actuel.

 

 

À quelle sauce 

La nuit dernière, avant de subir les premiers effets du pot-au-noir, Yann Riou nous livrait une bien agréable carte postale de la navigation à hautes vitesses dans les alizés. « On est sous les tropiques ça ne fait aucun doute ! » lançait d’emblée l’équipier média du bord. « Tout va bien à bord, les conditions des dernières 24 heures sont plutôt faciles. J’ai fait un petit quart hier soir et c’était le défilé des poissons volants. Ils passaient sur le filet, sous le filet. Ils décollaient à l’étrave et atterrissaient à l’arrière du bateau. On voit les sargasses aussi… La température de l’eau a considérablement augmenté ! Pourquoi je vous parle de la température de l’eau ? Parce que c’est celle que l’on ressent à l’intérieur du bateau. Et ça c’est le côté pas très sympa car dans la coque centrale il fait vraiment très chaud… cette chaleur assez moite. Ce n’est pas toujours facile de se reposer et de trouver le sommeil dans ces conditions. En revanche, sur le pont c’est très agréable, très ventilé. Actuellement on est en petit t-shirt et dans l’instant nous filons à 35 nœuds, 37 nœuds même sous pilote automatique. Nous ne l’avons quasiment jamais mis depuis le départ mais là ça marche bien. Nous faisons route vers le pot-au-noir. Et nous sommes impatients de savoir à quelle sauce nous serons mangés sur ce passage. 38, 40 nœuds nœuds là dans l’instant ! Il fait nuit noire, et c’est nuageux et nous avons le radar en marche pour observer une veille et regarder un peu devant. Ça va super vite avec une mer qui s’est bien aplatie depuis hier et ça permet d’exploiter le bateau à son potentiel.»

Sur les dernières 24 heures, le maxi-trimaran volant affichait en effet une vitesse moyenne de 32,5 nœuds, soit près de 800 milles parcourus sur la route. Mais ce jeudi 14 janvier ne sera pas mené à la même cadence. Si l’environnement ne cesse de changer dans la ZICT et qu’il est toujours difficile de prédire les conditions météos à venir malgré la qualité des prévisions et le savoir-faire du routeur météo du team, Marcel van Triest, le jeu lui est toujours le même. Trouver le meilleur passage possible, c’est-à-dire là où le vent continue de souffler un minimum, tout en visant un point de sortie pas trop ouest pour conserver un bon angle d’attaque pour aborder l’hémisphère sud.

 

Un premier record à portée d’étraves ? 

Le premier record intermédiaire de ce tour du monde, homologué par le WSSRC, est celui entre Brest et l’équateur. Il est aujourd’hui et depuis 2019 la propriété de l’équipe suisse de Spindrift Racing en 4 jours 19 heures et 57 minutes. Avec une Zone de Convergence Intertropicale encore à traverser et qui semble active, ce chrono paraît difficile à aller chercher pour les hommes du Gitana Team. Mais avec le pot-au-Noir rien n’est sûr et il est permis de tout espérer… Pour cela, il faudrait que Charles Caudrelier, Franck Cammas, David Boileau, Yann Riou, Erwan Israël et Morgan Lagravière basculent la tête au Sud et franchissent la ligne virtuelle entre les deux hémisphères avant ce soir 22h30 !

Enfin le vol alizéen

Les efforts déployés par les hommes du Maxi Edmond de Rothschild, depuis leur départ de Ouessant dimanche dernier, portent leurs fruits en ce quatrième jour de record. Pour exploiter au mieux la fenêtre choisie, Franck Cammas, Charles Caudrelier et leurs quatre équipiers ont dû enchaîner les empannages et allonger la route qui les mène vers l’équateur. Mais depuis ce matin, ils sont dans les alizés, bien calés bâbord amure, et exploitent pleinement le potentiel du maxi-trimaran volant aux cinq flèches. À 18h, le dernier-né des Gitana avait à nouveau grappillé des milles sur son adversaire virtuel et possédait 115 milles d’avance.

 

 

Dans le pot dès demain matin 

Chaque Pot-au-Noir est spécifique et ne ressemble à aucun autre. À quelques heures d’aborder le premier de ce Trophée Jules Verne, puisque le Maxi Edmond de Rothschild devrait en ressentir les premiers effets par 6° de latitude Nord, Franck Cammas confiait son ressenti : « Nous avons eu une transition un peu longue entre Madère et les alizés mais depuis la nuit dernière nous sommes enfin dans le régime des alizés et on va avoir 24 bonnes heures plus tranquilles. En fin de nuit prochaine nous entrerons dans le Pot-au-noir, une zone un peu complexe où il va falloir manœuvrer. Il faudra être patient je pense parce que l’on peut tomber dans des trous de vent. Et malheureusement j’ai l’impression que l’on va aborder ça en fin de nuit ou peut-être même début de journée suivante. C’est sûr que pendant la journée c’est toujours un peu mieux et plus facile à négocier car tu vois les nuages arriver et tu peux anticiper un minimum. »

Pour l’heure, les six hommes du Gitana Team profitent d’un flux de nord-est bien établi au-delà des 20 nœuds pour accélérer la cadence. Ces conditions sont particulièrement propices au géant de 32 mètres, qui depuis qu’il s’est débarrassé des dévents des îles volcaniques du Cap-Vert en profite pour allonger la foulée. Les 36,5 nœuds de moyenne enregistrés sur les quatre dernières heures en témoignent.

 

Les Maxi-Sons du large, le podcast du Gitana Team 

À l’affût dans le raffut, Yann Riou, régleur et équipier média, tend le micro à ses partenaires de navigation extrême sur le Trophée Jules Verne. Une belle invitation sonore à partager le quotidien hors normes des six marins engagés dans la chasse au record de vitesse autour des mers du globe.

La saison 1 de notre podcast s’ouvre sur la descente de l’Atlantique, un tronçon tactique qui constitue le premier quart du parcours planétaire en temps. Dans ce premier épisode, Franck Cammas, l’un des skippers du Maxi Edmond de Rothschild et David Boileau, boat captain et équipier, se confient sur le changement de mode. En quelques heures, les hommes s’arrachent à la terre et enfilent leur tenue de marin. Comment vivent-ils et gèrent-ils ce passage de terrien à marin ?

 

Franck Cammas  : « Il n’y a évidemment plus les nuits que l’on peut faire à terre »

« Les transitions sont toujours brutales, entre le départ où l’on est entouré de plein de monde sur les pontons et le moment où on se retrouve en mer, en équipage, seul ou à deux, c’est toujours assez brutal. Et puis évidemment l’environnement et le confort que l’on a à terre et ce que l’on a à bord c’est diamétralement opposé, donc il faut s’habituer, nous en sommes assez conscients et savons que les premiers jours ne sont jamais les plus faciles. On attend les jours prochains… Là, au bout de trois jours, on est en train de rentrer réellement dans l’ambiance et on se sent de plus en plus à l’aise. D’une part il y a le rythme avec les quarts, 24h sur 24, il n’y a évidemment plus les nuits complètes que l’on peut faire à terre, il faut s’habituer à se réveiller rapidement, parfois même urgemment lorsqu’il faut manœuvrer, s’habituer à dormir pendant la journée aussi, ça c’est une chose importante, et puis il y a aussi l’environnement, le bruit, les mouvements, la capacité à préparer à manger… C’est beaucoup plus compliqué à bord et notamment les premières heures où généralement on ne se fait pas de vrais repas… Toutes ces choses-là font qu’il faut réussir, pour la vie quotidienne et pour la santé, à se caler pour tenir 40 jours, mais c’est sûr qu’on ne peut pas garder le rythme que l’on a à terre ! »

 

David Boileau  : « L’hygiène c’est l’une des grandes différences avec la vie de terrien »

« Le fait d’avoir passé la première nuit en mer, avant de couper la ligne à 2h30 à Ouessant, nous donne l’impression d’être partis la veille. Et au final, au bout de deux jours on a l’impression d’avoir déjà passé beaucoup de temps en mer… L’adaptation à bord est plus ou moins compliquée en fonction des conditions que tu rencontres en mer. Là, nous avons eu des conditions plus clémentes que sur notre première tentative sur le départ, et pour ma part j’ai trouvé tout de suite le bon rythme, je me suis directement bien calé au niveau du sommeil, je n’ai pas eu de problème pour m’endormir ni pour récupérer, je me suis tout de suite senti bien et à l’aise sur le bateau.  Depuis que nous sommes partis je n’ai pas encore fait ma toilette (rires) C’est l’une des grosses différences avec la vie de terrien, l’hygiène. On fait ce que l’on peut pour rester propres mais il faut composer avec les conditions météos et ce qu’elles nous permettent de faire. Au moins je me lave les dents tous les jours, c’est déjà ça ! »

Lever de soleil cap-verdien

Comme imaginé par les prévisions météorologiques, le vent de nord-est a forci la nuit dernière entre les Canaries et le Cap Vert, entre 25 et 30 nœuds. Après des échanges nourris avec leur routeur Marcel van Triest, Franck Cammas et Charles Caudrelier avaient laissé la porte ouverte à un passage entre les îles, plus direct, mais à condition que le soleil soit déjà levé pour se faufiler au cœur de l’archipel. Au final, compte tenu de leur progression c’est par l’Ouest, et en laissant une marge suffisamment nécessaire pour ne pas trop ressentir les dévents des îles volcaniques dans les voiles du Maxi Edmond de Rothschild, que l’équipage va débuter ce matin le contournement du Cap-Vert. L’avance sur le record de Francis Joyon oscille au gré des empannages et des recalages du dernier-né des Gitana dans l’Ouest mais reste relativement stable autour des 100 milles depuis plusieurs jours.

 

 

Une trajectoire plus conservatrice privilégiée 

À l’approche de l’archipel cap-verdien, il était tentant de tirer tout droit entre les îles de São Vicente et São Nicolau pour viser une route plus directe en direction de l’équateur. Mais se faufiler entre ces îles volcaniques n’est jamais une chose anodine et qui plus est avec un maxi-trimaran volant de 32 mètres lancé à vive allure. « Ce passage a été discuté mais finalement abandonné compte tenu du gain que nous aurions pu en tirer par rapport à la prise de risques. Entre les dévents, les accélérations, les pêcheurs, les casiers de ces derniers ce n’est pas une navigation facile pour des bateaux comme le nôtre. Et puis notre heure de passage a fini de sceller le choix, il fait encore nuit et nous aurions manqué de visibilité car les nuits sont bien noires en ce moment » expliquait Yann Riou dans son message de la nuit.

 

Le yoyo des milles   

Ce choix de passer dans l’ouest de l’archipel a coûté deux nouveaux empannages à l’équipage du Maxi Edmond de Rothschild et des milles logiquement perdus sur son adversaire virtuel. En effet, lors de sa tentative en 2016-2017, sur ce long bord vers l’équateur, Idec avait bénéficié d’une météo lui permettant de rester sur la même amure. Les hommes du Gitana Team ne profitent pas eux de la même configuration et d’une trajectoire aussi rectiligne. Au plus fort de la nuit, ils avaient accumulé 177 milles d’avance ; un chiffre retombé à 90 milles à 8h. Mais rien d’anormal puisque le moindre recalage dans l’Ouest leur applique un VMG (vitesse de rapprochement au but) quasi négatif.

 

Le point positif à retenir étant que malgré ces nombreux empannages depuis deux jours, Franck Cammas, Charles Caudrelier et leurs quatre équipiers font toujours la course en tête. D’autant qu’au pointage de 8h, le géant de 32 mètres pointaient à nouveau ses étraves dans la bonne direction, cap au sud sud-ouest.