Les records sont ainsi faits! Après avoir basculé en code orange dimanche pour un potentiel départ au large de Ouessant dans les 72h, soit mercredi 18 novembre dans la journée, l’équipage du Maxi Edmond de Rothschild a vu s’envoler en 24 heures sa chance de s’élancer cette semaine sur le record du tour de monde à la voile. Ces allers-retours font totalement partie du jeu stratégique des départs sur le Trophée Jules Verne, d’autant que le record actuel détenu par l’équipage d’Idec Sport est si élevé que la «rampe de lancement» se doit d’être sans équivoque.
Hier déjà, les fichiers météos du soir laissaient entrevoir une dégradation de la fenêtre visée par le Gitana Team. Cette tendance s’est malheureusement confirmée tout au long de la journée, entraînant le retour en stand-by des hommes du Maxi Edmond de Rothschild.
« Hier, nous sommes passés en code orange avec une probabilité de départ que l’on estimait alors entre 70 % et 80 %. Nous étions dans l’attente de l’évolution de cette fenêtre pour obtenir plus de certitudes sur la connexion dans l’Atlantique Sud. Mais hier soir, c’est dans l’Atlantique Nord que la situation s’est dégradée avec l’apparition d’une dépression tropicale en travers de la route vers les alizés. Ce nouvel élément n’est pas favorable à un départ car il devrait rallonger considérablement notre trajectoire vers l’hémisphère Sud. Dans le même temps, les modèles prévoyaient également une très longue route le long des côtes brésiliennes et uruguayennes pour contourner les hautes pressions de Sainte-Helène, ce qui ne va pas dans le sens d’un record », détaillait Charles Caudrelier.
AU-DELÀ DE 5 JOURS À L’ÉQUATEUR
« C’est toute la difficulté de ces périodes d’avant départ ! L’envie de partir est forcément très présente, mais nous sommes au début de notre stand-by et il ne faut pas nous précipiter. Le record sera difficile à aller chercher et nous nous devons d’avoir une fenêtre de départ ambitieuse pour avoir toutes nos chances », complétait Charles.
De son côté, Franck Cammas rappelait : « Les critères de temps que nous recherchons sont dictés par les performances que nous savons à la portée du Maxi Edmond de Rothschild mais aussi en analysant les différentes séquences du record d’Idec en 2017. Le passage à l’équateur et le temps au Cap des Aiguilles sont nos premiers critères. Au-delà de 5 jours à l’équateur ce n’est plus une bonne fenêtre et c’est ce que nous proposait le routage. »
L’équipage du Maxi Edmond de Rothschild
Franck Cammas et Charles Caudrelier, skippers
Morgan Lagravière, Yann Riou, Erwan Israël et David Boileau.
Rappel des codes du stand-by
Pendant la période de stand-by du Maxi Edmond de Rothschild, que l’équipe aux cinq flèches a fixée du 1er novembre aux premiers jours de février 2021, l’annonce des changements de situation et d’un éventuel départ du bateau se fait via un système de codes couleurs dont voici la signification :
– Noir : pas de départ possible avant 96h
– Rouge : observation d’un départ possible entre 72 et 96h
– Orange : observation d’un départ possible entre 48 et 72h
– Jaune : départ probable entre 24 et 48h
– Vert : départ dans les 24h
S’il s’est embarqué pour la grande aventure du Jules Verne à trois reprises, c’est en 2010 que Franck Cammas s’est offert le record de l’épreuve. A la barre de Groupama 3, un maxi-trimaran conçu pour les records, celui que l’on surnomme le petit Mozart de la voile avait alors bouclé son tour du monde en 48 jours, 7 heures, 44 minutes et 52 secondes. Vainqueur notamment de la Volvo Ocean Race (2011-2012), de trois transats Jacques Vabre (2001, 2003 et 2007) et d’une Route du Rhum (2010), Franck Cammas revient sur son expérience dans le Jules Verne.
Qu’est ce qui vous a amené à vous engager dans l’aventure du Trophée la première fois, en 2008 ?
Avec l’équipe, nous étions engagés dans les 60 pieds depuis 8 ans déjà et on voulait passer à quelque chose de plus grand sportivement. Avec notre partenaire Groupama, on s’est dit que le Trophée Jules Verne était un défi qui pouvait convenir aussi bien sportivement pour nous et médiatiquement pour eux. C’est pour ça qu’on s’est lancé, avec un programme dès 2006, année de la construction du bateau. On l’a mis à l’eau en 2006 et notre première tentative est intervenue l’année suivante.
Quel est votre meilleur souvenir du Trophée Jules Verne ?
J’en ai plein ! Mais je dois dire que lorsque j’ai fait le Jules Verne, c’était la première fois que je passais le Cap Horn. Quand on l’a franchi, on était face au vent, à 15 nœuds, avec pas beaucoup de vent. C’est marrant même si ce n’était pas très rapide. C’était quoi qu’il en soit assez émouvant. Ensuite, l’arrivée est forcément un grand moment. En 2010, on a eu tout le long une assez mauvaise météo. On était en retard même quand on a passé l’équateur au retour. On a gagné deux jours juste sur l’hémisphère nord au retour. C’était assez tendu et donc c’était une délivrance d’arriver et de battre ce record.
Quel est votre pire souvenir ?
En 2010, c’était la frustration de tomber toujours dans des impasses météo. On était au près au Cap Horn et on l’est resté jusqu’à l’équateur. On n’a jamais fait pu ouvrir les voiles du Cap Horn à l’équateur. On était partis en date limite (fin janvier) et tout était allé un peu à l’envers en terme de météo. Heureusement, on avait un bon bateau, très polyvalent, et ça nous a permis de battre le record.
Que préférez-vous : naviguer en solitaire ou en équipage ?
Depuis la Route du Rhum 2010, je n’ai pas navigué en solitaire. Dans l’ensemble, j’ai toujours préféré l’équipage et la dimension du travail d’équipe. Il faut dire qu’en équipage, on peut exploiter le bateau à 100%, chose qu’on ne peut pas faire quand on est en solitaire. En solitaire, on est contraint de survoler un peu plus les réglages et la finesse de la conduite. En équipage, il y a donc une certaine intensité qu’on n’a pas ou moins en solitaire.
Que représente pour vous le Trophée Jules Verne ?
C’est la course la plus simple. Il n’y a quasiment pas de règles, si ce n’est un parcours. Du coup, ça permet d’ouvrir les champs d’innovations et d’investigations que ce soit au niveau sportif ou technique. On voit que ce ne sont pas forcément les bateaux les plus grands et les plus puissants qui gagnent. Ca permet vraiment de tenter des choses sans avoir de borne, ce qui fait du Jules Verne une compétition assez jusqu’au-boutiste. C’est plaisant. Il n’en n’existe pas deux comme ça.
Pensez-vous refaire le Jules Verne un jour ?
Je n’y ai pas pensé … Je ne ferme pas la porte, évidemment. Il faut voir le record car quand on s’engage, il faut qu’il y ait une possibilité de le battre. C’est parce qu’on pense qu’on peut le battre qu’on s’aligne un jour sur la ligne de départ. Il faut par ailleurs avoir les conditions techniques pour le faire, c’est-à-dire avec un bateau adapté. Soit il faut construire un bateau qui convienne et ce sont de grosses opérations, soit on peut récupérer des bateaux qui sont encore capables de le faire comme Idec Sport est en train de le prouver.
Idec Sport est en effet l’ancien Groupama sur lequel vous avez navigué …
C’est un vieux bateau mais il prouve aujourd’hui encore qu’il a été conçu dans un bon équilibre : pas trop grand, très efficace et qui peut être mené en solitaire comme en équipage. Il n’y a pas beaucoup de bateau comme ça. Il est ni complètement optimisé pour le solitaire, ni complètement optimisé pour l’équipage mais il est capable de faire les deux. Et il le fait bien.
Avez-vous un message pour Francis Joyon et ses cinq coéquipiers qui sont actuellement engagés sur le Jules Verne ?
Francis a fait des temps canon et a enchaîné les grosses journées. C’est remarquable ! Il faut bien comprendre que naviguer en permanence à plus de 30 nœuds, ça demande beaucoup d’attention, du doigté à la barre, c’est inconfortable et très bruyant. Il y a forcément un stress. Francis et son équipage sont en train de prouver qu’ils dominent bien la machine. Ils arrivent à trouver la limite sans la dépasser donc c’est une belle navigation. On ne peut que les féliciter.
Propos recueillis par Isabelle Trancoen