S’il s’est embarqué pour la grande aventure du Jules Verne à trois reprises, c’est en 2010 que Franck Cammas s’est offert le record de l’épreuve. A la barre de Groupama 3, un maxi-trimaran conçu pour les records, celui que l’on surnomme le petit Mozart de la voile avait alors bouclé son tour du monde en 48 jours, 7 heures, 44 minutes et 52 secondes. Vainqueur notamment de la Volvo Ocean Race (2011-2012), de trois transats Jacques Vabre (2001, 2003 et 2007) et d’une Route du Rhum (2010), Franck Cammas revient sur son expérience dans le Jules Verne.
Qu’est ce qui vous a amené à vous engager dans l’aventure du Trophée la première fois, en 2008 ?
Avec l’équipe, nous étions engagés dans les 60 pieds depuis 8 ans déjà et on voulait passer à quelque chose de plus grand sportivement. Avec notre partenaire Groupama, on s’est dit que le Trophée Jules Verne était un défi qui pouvait convenir aussi bien sportivement pour nous et médiatiquement pour eux. C’est pour ça qu’on s’est lancé, avec un programme dès 2006, année de la construction du bateau. On l’a mis à l’eau en 2006 et notre première tentative est intervenue l’année suivante.
Quel est votre meilleur souvenir du Trophée Jules Verne ?
J’en ai plein ! Mais je dois dire que lorsque j’ai fait le Jules Verne, c’était la première fois que je passais le Cap Horn. Quand on l’a franchi, on était face au vent, à 15 nœuds, avec pas beaucoup de vent. C’est marrant même si ce n’était pas très rapide. C’était quoi qu’il en soit assez émouvant. Ensuite, l’arrivée est forcément un grand moment. En 2010, on a eu tout le long une assez mauvaise météo. On était en retard même quand on a passé l’équateur au retour. On a gagné deux jours juste sur l’hémisphère nord au retour. C’était assez tendu et donc c’était une délivrance d’arriver et de battre ce record.
Quel est votre pire souvenir ?
En 2010, c’était la frustration de tomber toujours dans des impasses météo. On était au près au Cap Horn et on l’est resté jusqu’à l’équateur. On n’a jamais fait pu ouvrir les voiles du Cap Horn à l’équateur. On était partis en date limite (fin janvier) et tout était allé un peu à l’envers en terme de météo. Heureusement, on avait un bon bateau, très polyvalent, et ça nous a permis de battre le record.
Que préférez-vous : naviguer en solitaire ou en équipage ?
Depuis la Route du Rhum 2010, je n’ai pas navigué en solitaire. Dans l’ensemble, j’ai toujours préféré l’équipage et la dimension du travail d’équipe. Il faut dire qu’en équipage, on peut exploiter le bateau à 100%, chose qu’on ne peut pas faire quand on est en solitaire. En solitaire, on est contraint de survoler un peu plus les réglages et la finesse de la conduite. En équipage, il y a donc une certaine intensité qu’on n’a pas ou moins en solitaire.
Que représente pour vous le Trophée Jules Verne ?
C’est la course la plus simple. Il n’y a quasiment pas de règles, si ce n’est un parcours. Du coup, ça permet d’ouvrir les champs d’innovations et d’investigations que ce soit au niveau sportif ou technique. On voit que ce ne sont pas forcément les bateaux les plus grands et les plus puissants qui gagnent. Ca permet vraiment de tenter des choses sans avoir de borne, ce qui fait du Jules Verne une compétition assez jusqu’au-boutiste. C’est plaisant. Il n’en n’existe pas deux comme ça.
Pensez-vous refaire le Jules Verne un jour ?
Je n’y ai pas pensé … Je ne ferme pas la porte, évidemment. Il faut voir le record car quand on s’engage, il faut qu’il y ait une possibilité de le battre. C’est parce qu’on pense qu’on peut le battre qu’on s’aligne un jour sur la ligne de départ. Il faut par ailleurs avoir les conditions techniques pour le faire, c’est-à-dire avec un bateau adapté. Soit il faut construire un bateau qui convienne et ce sont de grosses opérations, soit on peut récupérer des bateaux qui sont encore capables de le faire comme Idec Sport est en train de le prouver.
Idec Sport est en effet l’ancien Groupama sur lequel vous avez navigué …
C’est un vieux bateau mais il prouve aujourd’hui encore qu’il a été conçu dans un bon équilibre : pas trop grand, très efficace et qui peut être mené en solitaire comme en équipage. Il n’y a pas beaucoup de bateau comme ça. Il est ni complètement optimisé pour le solitaire, ni complètement optimisé pour l’équipage mais il est capable de faire les deux. Et il le fait bien.
Avez-vous un message pour Francis Joyon et ses cinq coéquipiers qui sont actuellement engagés sur le Jules Verne ?
Francis a fait des temps canon et a enchaîné les grosses journées. C’est remarquable ! Il faut bien comprendre que naviguer en permanence à plus de 30 nœuds, ça demande beaucoup d’attention, du doigté à la barre, c’est inconfortable et très bruyant. Il y a forcément un stress. Francis et son équipage sont en train de prouver qu’ils dominent bien la machine. Ils arrivent à trouver la limite sans la dépasser donc c’est une belle navigation. On ne peut que les féliciter.
Propos recueillis par Isabelle Trancoen